France - Conseil de l`Europe

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France - Conseil de l`Europe
L’école:
une communauté d’apprentissage
de la démocratie
Etude paneuropéenne
sur la participation des élèves
Karlheinz Dürr
Landeszentrale für politische Bildung
Bade-Wurtemberg, Allemagne
Cet ouvrage est publié dans le cadre de l’Année européenne de la citoyenneté par
l’éducation: «Apprendre et vivre la démocratie».
Les vues exprimées dans cet ouvrage sont de la responsabilité de l’auteur et ne
reflètent pas nécessairement la ligne officielle du Conseil de l’Europe.
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correspondance relative à cette publication doit être adressée à la Direction de
l’éducation, de la culture et du patrimoine, de la jeunesse et du sport.
© Conseil de l’Europe, novembre 2005
Table des matières
Introduction ......................................................................................................... 5
Première partie: éléments d’apprentissage de la démocratie à l’école .......... 7
1. Cadre général ................................................................................................. 9
2. Perspective historique .................................................................................. 16
3. Les droits de l’enfant.................................................................................... 19
4. Approches de l’enseignement et de l’apprentissage de la démocratie ......... 21
5. Pratiquer et vivre la démocratie à l’école..................................................... 25
5.1. Pratiquer la démocratie dans l’enseignement primaire ....................... 25
5.2. Pratiquer la démocratie dans l’enseignement secondaire ................... 29
6. Vers une typologie de la participation des élèves dans la vie de l’école ...... 35
6.1. Domaines ouverts à la participation des élèves .................................. 35
6.2. Formes de participation des élèves ..................................................... 37
6.3. Domaines d’application de la participation des élèves ....................... 37
7. Vers une charte européenne pour une école démocratique sans violence .... 39
Deuxième partie: pratique de la participation démocratique à l’école ........ 41
8. La participation des élèves en Europe.......................................................... 43
8.1. Base juridique de la participation des élèves ...................................... 44
8.2. Droits généraux des élèves à la démocratie ........................................ 45
8.3. Structure et niveaux de la représentation des élèves/étudiants ........... 48
8.4. Niveau de représentation et de participation des parents .................... 53
8.5. Enseignement et apprentissage participatifs:
recommandations, directives pour les programmes, formules ............ 58
9. La participation des élèves dans la formation des enseignants .................... 60
10. Obstacles, insuffisances et souhaits.............................................................. 62
11. Conclusion: une nouvelle manière de vivre et d’apprendre à l’école .......... 64
11.1. Ensemble de critères pour la participation démocratique à l’école .... 64
11.2. La confiance, condition préalable du changement .............................. 66
11.3. Vers une nouvelle «manière de vivre et d’apprendre»
à l’école et dans l’environnement scolaire .......................................... 67
11.4. Vers une compréhension plus large de l’apprentissage
de la démocratie et de l’éducation à la citoyenneté démocratique ...... 68
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Introduction
«L’étude paneuropéenne sur la participation des élèves» est l’une des deux études
commandées par le Conseil de l’Europe dans le cadre de la deuxième phase du
projet de grande envergure lancé par le Conseil, intitulé «Education à la citoyenneté
démocratique» (ECD)1.
L’une de ces deux études propose une analyse des politiques d’ECD en Europe2.
Celle que nous présentons ici concerne la participation des élèves/étudiants dans
la vie de l’école démocratique. Elle est probablement l’une des toutes premières
à tenter de réunir, à ce sujet, des informations sur un nombre représentatif de
systèmes éducatifs européens. Il s’agit toutefois d’une étude préliminaire, qui ne
prétend pas répondre aux critères théoriques et académiques des sciences sociales,
ni aux critères empiriques de la statistique. Les ressources et le temps disponibles,
de même que l’étendue et la qualité des informations fournies par les divers pays,
n’y auraient en effet pas suffi. En conséquence, je tiens à préciser clairement
ici que l’objectif de la présente étude est de rassembler des commentaires, des
descriptions, des bonnes pratiques et des données factuelles afin de donner une
première impression d’ensemble des termes du débat et de la participation des
élèves en Europe. Le but premier est plutôt d’apporter un début de réponse aux
questions suivantes:
• quel est le cadre général et l’environnement dans lequel s’inscrit l’apprentissage
de la démocratie à l’école?
• existe-t-il des projets pilotes ou des approches innovantes de la participation
des élèves en Europe, qui pourraient avoir valeur de «bonnes pratiques»?
• y a-t-il des éléments théoriques et pratiques de l’apprentissage de la démocratie
susceptibles de contribuer à la formulation de «lignes directrices» pour la
participation des élèves en Europe?
• quelle est la base juridique de la participation des élèves dans les pays
européens?
• quels sont les droits des élèves et de leurs parents en matière de démocratie et
de participation à l’école?
• l’environnement éducatif fournit-il un cadre favorable à la participation des
élèves (formation des enseignants, dispositions spéciales)?
1. Pour plus d’informations sur le projet ECD, voir http://www.coe.int/T/E/Cultural_Cooperation/
education/EDC
2. Voir Kerr, David et al., «Etude paneuropéenne des politiques d’éducation à la citoyenneté
démocratique (ECD)», Région d’Europe de l’Ouest, DGIV/EDU/CIT (2003) 21, Strasbourg, 2003, et
les études régionales sur l’Europe centrale, l’Europe du Nord, l’Europe du Sud et l’Europe de l’Est.
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Première partie:
éléments d’apprentissage
de la démocratie à l’école
Illustration: Stefan Rasch1.
1. In Bundesministerium für Unterricht und kulturelle Angelegenheiten, betrifft: Demokratie lernen,
Heft 1, p. 8.
1. Cadre général
Les innovations et les réformes en matière d’éducation constituent, de l’avis
général, un processus permanent, un projet qui n’a pas vraiment de fin et ne peut
aboutir à un «rapport final».
Les résultats de l’étude PISA – qui, pour de nombreux Etats européens, se sont
avérés, selon les cas, décevants ou alarmants – ont débouché sur de multiples
débats portant non seulement sur l’efficacité des systèmes scolaires actuels,
mais aussi sur la réforme de presque tous les aspects de l’éducation et sur les
compétences de base des élèves. On a notamment assisté à une remise en cause des
méthodes d’enseignement et d’apprentissage, qui n’est pas terminée, tandis que
s’exprimait dans le même temps la nécessité de créer un climat différent à l’école
et un nouvel environnement d’apprentissage. La notion de «compétences de base»
s’élargissait considérablement, pour inclure des aspects tels qu’une «formation
politique de base» ou des «aptitudes démocratiques de base», c’est-à-dire la
formation des élèves à leur rôle de futurs citoyens. Dans ce contexte, le rôle de
l’école dans la formation de futurs citoyens responsables et participant activement
à la vie de la société démocratique s’est accru. Il est généralement admis qu’un
«esprit critique et indépendant […] est une condition nécessaire pour prendre sa
place dans la société et participer aux processus démocratiques et aux institutions
d’enseignement1».
De la même façon, une étude italienne affirme qu’«on peut constater une
reconnaissance croissante, de la part des forces politiques et sociales, et de
l’opinion publique en général, de l’importance du système scolaire dans la
formation de citoyens responsables et informés, et dans la construction d’une
société démocratique ouverte au changement2».
Des affirmations similaires figurent dans de nombreux livres, articles et témoignages
d’experts, non seulement en Europe mais dans le monde entier. L’école dispose
d’un riche potentiel pour accomplir cette tâche – ce qui n’est pas, soit dit en
passant, une découverte récente. Le système éducatif a en effet depuis longtemps
1. Sardoc, Mitja, «La participation des élèves dans le système éducatif public slovène», article
non publié, présenté lors du second séminaire germano-croate sur «l’Education à la citoyenneté
démocratique », Opatija, Croatie, juin 2003, p. 1.
2. Losito, Bruno, «Enseigner pour la démocratie dans une société démocratique en mutation. Le rôle
potentiel des écoles dans l’éducation civique des élèves», étude de cas nationale non publiée, Rome,
Italie, 2003, p. 3.
9
pour mission d’éduquer les enfants dans un esprit démocratique et de les préparer
à leur rôle de citoyens actifs1.
Réforme de l’école
On peut donc affirmer que le rôle de l’école dans le processus de socialisation
démocratique des élèves n’est pas remis en question. La question est plutôt de
savoir si l’école, sous sa forme actuelle, a la capacité, les moyens et la volonté
de tenir ce rôle. Depuis de nombreuses décennies, le débat sur les problèmes
et perspectives de l’éducation démocratique fait rage parmi les spécialistes des
sciences de l’éducation et de l’éducation civique, et la revendication d’une plus
grande autonomie et d’un contrôle accru de l’école sur son propre environnement
va de pair avec le rejet croissant de l’influence et de la réglementation de l’Etat
dans le secteur de l’éducation. Sur la base de concepts de réformes pédagogiques
déjà anciens, il a été demandé à de multiples reprises que l’école reflète elle-même
un mode de vie, d’apprentissage et d’expérience démocratiques. Dans ce contexte,
il paraît évident que la manière dont de nombreux sujets et disciplines peuvent
contribuer à la socialisation démocratique n’a pas été suffisamment étudiée. En
ce qui concerne notamment les sciences sociales et l’éducation civique, on peut
avancer que les programmes donnaient par le passé une définition trop étroite de
la démocratie et du «processus démocratique», axée presque entièrement sur sa
dimension «macropolitique», ce qui a amené, par exemple, le spécialiste allemand
de l’éducation politique, Tilman Grammes, à demander un nouveau débat sur la
«didactique de l’éducation politique2». Bien que la question englobe souvent des
éléments sociaux, économiques et juridiques, débouchant ainsi sur une «approche
pluridisciplinaire», les éléments microsociaux représentés par l’école en tant que
champ et laboratoire du vécu, de l’apprentissage et de l’expérience démocratiques
sont souvent largement voire totalement ignorés. Pourtant, il est indubitable
que, de la salle de classe à l’environnement scolaire au sens large, il existe de
nombreuses possibilités d’expérimentation, de tâtonnements, d’activités et de
participation aux processus démocratiques, et même à la prise de décision, qui
pourraient être davantage mises en valeur et exploitées à des fins pédagogiques.
Ainsi, en tant que lieu d’apprentissage, l’école devrait, et pourrait, devenir aussi le
lieu de l’apprentissage et de la pratique de la démocratie.
1. Voir la préface de Hepp, Gerd et Schneider, Herbert, in Schule in der Bürgergesellschaft, Schwalbach,
Allemagne, 1999, p. 5.
2. Tilman Grammes, grand spécialiste allemand de l’éducation politique, estime qu’il est nécessaire de
faire preuve de plus de «courage pour remettre en cause les canons» (les contenus), afin d’identifier ceux
qui sont élémentaires et indispensables dans ce domaine (voir Grammes, T., Bilanz und Perspektiven
der schulbezogenen Politikdidaktik: eine Wissenschaft ohne Gegenstand, manuscrit non publié, cité in
Henkenborg, P., Schul- und Unterrichtsentwicklung als Herausforderung der Politikdidaktik: Thesen,
Fragen und Aufgabenfelder, in http://www.dvpb.de/polis/jahrgang/3_00/henkenborg.htm).
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La démocratie comme mode de vie, forme de société
et de gouvernement
Dans un monde de plus en plus complexe et varié, il est devenu indispensable
de donner une nouvelle définition de la démocratie participative et du statut du
citoyen. Les mouvements extrémistes, la violence, le racisme, la xénophobie
et l’exclusion sociale menacent les démocraties, qui sont en outre confrontées
à la mondialisation et à des innovations technologiques radicales. La stabilité
démocratique et la paix sociale sont de la responsabilité de chacun d’entre nous1.
Ces problèmes se posent de manière aussi aiguë dans une salle de classe. Ils
exigent une approche nouvelle des droits et des responsabilités des futurs citoyens.
L’apprentissage interculturel est l’un des aspects auquel il faut donner plus de
poids. Une approche pragmatique s’impose à cet égard afin de ne pas surcharger
les programmes de connaissances théoriques sur la démocratie et la société civile.
Toute étude contemporaine sur une approche moderne de l’enseignement et de
l’apprentissage concernant la société civile démocratique accepterait probablement
la définition des trois formes de démocratie développée par les «sciences de la
démocratie» (discipline qui tente de combiner les approches développées en science
politique, en pédagogie politique et en didactique de l’éducation politique).
La démocratie est:
– un mode de vie;
– une forme de société;
– une forme de gouvernement.
La citoyenneté active
Ces approches reposent sur l’idéal d’une «citoyenneté active», exprimé d’ailleurs
dans l’article A du Traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne.
L’un des objectifs principaux de la Direction générale de l’éducation et de la
culture de la Commission européenne est de développer la citoyenneté au sens
juridique du terme, mais aussi d’encourager dans la pratique, et à tous les niveaux,
la participation de la population au processus démocratique: «L’action dans le
domaine de l’éducation, de la formation et de la jeunesse offre un vecteur privilégié
pour la promotion d’une participation active à la grande diversité des cultures […]
européennes2.»
1. Voir Dürr K., Spajic-Vrkas V. et Fereira Martins I., Stratégies pour apprendre l’éducation à la
citoyenneté démocratique, DECS/EDU/CIT (2000) 16, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2000, p. 10.
2. Commission européenne, Direction générale de l’éducation et de la culture, page d’accueil,
http://europa.eu.int/comm/dgs/education-culture/index-en.htm
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Un nouveau pragmatisme
Aucune de ces caractéristiques ne saurait ni ne devrait être exclue de l’apprentissage
et de l’enseignement de la démocratie. Anciennement, la démocratie était présentée
presque exclusivement comme une forme de gouvernement et l’apprentissage de la
démocratie se limitait donc généralement à une simple description des institutions
et des procédures. Aujourd’hui, on peut dire que le «nouveau pragmatisme» de
l’éducation civique et de l’apprentissage de la démocratie est mis en valeur dans
presque toutes les publications qui paraissent dans ce domaine. Dans le chapitre 2,
nous exposerons les grandes lignes du processus d’apprentissage élaboré par
G. Himmelmann, qui constitue une bonne manière de structurer les notions
élémentaires de l’apprentissage de la démocratie.
Accumulation des tâches assignées à l’école
Cette nouvelle mission impartie à l’école est cependant problématique. Certains
experts estiment que les tâches assignées à l’école n’ont cessé de s’accumuler
en raison, d’une part, des mutations sociales intervenues dans toutes les sociétés
modernes (le déclin de certains acteurs de socialisation tels que les Eglises) et,
d’autre part, du fait que les parents «se défaussent» de ces activités sur l’école. En
d’autres termes, l’école est de plus en plus chargée de «fonctions thérapeutiques»
et d’«activités de réparation psychosociale», car les parents contribuent de moins
en moins au développement affectif, social et psychologique de leurs enfants,
responsabilités qu’ils délèguent purement et simplement à l’école.
Si ces affirmations correspondent à la réalité, il faut alors réfléchir aux moyens
qui permettraient à l’école, dans de telles circonstances, de contribuer de manière
satisfaisante à l’apprentissage pratique de la démocratie.
Démocratisation de l’ensemble de la société
Considérés dans le cadre plus large de la démocratisation, le vécu historique et le
macroenvironnement politique d’une société constituent un facteur qui influence
de façon déterminante les droits des élèves à la participation dans les écoles. Cela
vaut surtout pour les sociétés «réformées», c’est-à-dire celles des anciens Etats
communistes d’Europe centrale, de l’Est et du Sud-Est.
«Le passage de l’autoritarisme à la démocratie est, par conséquent, un moment
crucial du développement des nations et de leur jeunesse. En outre, les hauts
et les bas, les gains et les pertes, et les occasions manquées des nations en
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transition s’amplifient et se répercutent de multiples façons dans la vie des
jeunes1.»
L’école en tant qu’institution démocratique
Dans un contexte de démocratisation croissante, dans tous les domaines et à tous
les niveaux de la société, et sous l’effet des pressions de plus en plus fortes qui
s’exercent pour que l’école se transforme en une institution authentiquement
démocratique, les conditions sont réunies pour une participation accrue des élèves
à la vie quotidienne de l’école, ouvrant ainsi un vaste débat sur les modalités de
cette participation:
Comment la démocratisation permet-elle d’améliorer la réussite scolaire? Dans
ce contexte, nous entendons l’appel à une participation accrue des principales
catégories d’acteurs dans les processus éducatifs et la mise en œuvre des réformes
curriculaires, des approches novatrices et des nouveaux programmes – c’est-à-dire
à la stimulation et l’intensification de la participation des parents, des enseignants,
des ONG, des réseaux locaux, des Eglises et des associations de bénévoles.
Mais les concepts pédagogiques appellent aussi à une participation plus active
des premiers concernés par le processus éducatif, c’est-à-dire les élèves ou les
étudiants eux-mêmes. Toutefois, la participation effective et la coresponsabilité
des élèves dans la prise de décision se heurtent à de fortes objections: tout d’abord
au niveau des principes, l’école – avec la vaste charge qui lui incombe d’éduquer
et même de «créer» des citoyens compétents, informés et responsables – n’aurait
pas la possibilité d’accorder aux élèves une grande marge de coresponsabilité ou
de codécision.
Ensuite, sur un plan plus pratique, certaines personnes, bien qu’en principe
favorables à l’idée et persuadées de la légitimité de la participation des élèves,
ne parviennent pas à cerner concrètement les manières de la concrétiser et de
l’incorporer au quotidien dans la vie scolaire.
L’école n’étant pas effectivement un système associatif, on part généralement
du principe que le degré de participation des apprenants ne peut égaler celui des
droits à la pleine participation démocratique des citoyens dans la société. Dans
le processus éducatif, certains domaines et certaines décisions resteront toujours
du ressort de l’institution, de ses représentants ou des responsables politiques.
En conséquence, la question des limites à fixer à la participation démocratique
des élèves, des parents et autres «acteurs» du système éducatif, c’est-à-dire celle
1. MONEE Report, Young People in Changing Societies, cité in Vidanovic, Aleksandra et al., Priorités,
outils et propositions pour l’élaboration d’une stratégie et d’une politique nationales pour la jeunesse,
ministère de l’Education et des Sports, République de Serbie, Déclaration pour l’étude paneuropéenne
sur la participation des élèves, 2002.
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de l’ampleur de la «démocratisation» dans le cadre scolaire, continuera de faire
l’objet de débats.
Le principe central de tout enseignement et apprentissage de la démocratie n’est
par contre absolument pas remis en cause.
L’enseignement et l’apprentissage de la démocratie sont voués à l’échec s’ils ne
se déroulent pas dans un environnement et un cadre éducatif démocratiques.
En d’autres termes, tous les systèmes démocratiques dépendent de l’engagement
politique des citoyens et de leur volonté de participer activement à la vie politique,
au débat public et aux processus de prise de décisions. Il ne peut y avoir de
«démocratie vivante et effective» sans un «citoyen actif», qui en constitue le
fondement même; c’est en effet sa participation qui légitime le système. L’école
est le système dans le cadre duquel s’élabore cette citoyenneté. Il convient donc de
la renforcer et de lui donner les moyens de remplir véritablement ce rôle.
Avec la famille, l’école est le vecteur le plus important de création, de formation
et d’éducation de «citoyens informés, responsables et actifs».
Elle a, à cet égard, quatre objectifs éducatifs à remplir:
– donner aux élèves et aux étudiants les moyens d’exercer leur futur rôle de
citoyens;
– créer des occasions d’apprendre la démocratie;
– ouvrir les domaines qui se prêtent à la participation active et à la coresponsabilité
en milieu scolaire;
– encourager les élèves à participer activement à la vie de l’ensemble de la
société et à exercer leurs droits.
La participation des élèves à l’école et son étendue, c’est-à-dire les limites à lui
fixer, dépendent avant tout, sur un plan très élémentaire, de la volonté des groupes
impliqués, c’est-à-dire des enseignants, directeurs d’école, proviseurs, personnels
d’inspection et d’encadrement, administrateurs et responsables politiques. Elles
dépendent également de la capacité plus générale du système éducatif à accepter,
encourager, promouvoir et mettre en œuvre les changements nécessaires, si
douloureux soient-ils pour les personnes concernées. Enfin, dans un sens plus
abstrait, la participation des élèves dépend des expériences historiques, des facteurs
culturels, sociaux et politiques, des traditions et des influences qui prévalent dans
une société donnée.
La préparation des élèves à leur rôle de «citoyens informés, responsables et
actifs» est l’objectif global de tout processus éducatif (quels que soient le type
d’école, l’âge ou la matière), et c’est plus particulièrement la tâche essentielle de
l’éducation civique, de l’éducation politique ou des études sociales. Mais cette
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tâche ne se limite pas à l’école; il s’agit plutôt d’un processus d’apprentissage
tout au long de la vie, auquel participent de nombreux acteurs, groupes et
organisations différents.
Dans les Etats démocratiques, l’éducation est un droit fondamental, généralement
garanti par la Constitution. Nous avons donc tous connu une forme d’instruction
– et nous avons acquis des savoirs, savoir-faire et compétences. Nous avons connu
la réussite et essuyé des échecs; nous avons lié des amitiés et des relations. Pendant
l’année scolaire, l’école et la salle de classe étaient les repères les plus importants
dans nos vies, en dehors de la famille. Nous y avons passé une grande partie de
nos journées et nous avons finalement obtenu des diplômes qui nous ont ouvert de
nouvelles voies.
L’école est une institution dotée d’une structure et de règles qui lui sont propres;
elle est également le lieu des processus d’éducation et de formation. En d’autres
termes, l’école est à la fois une institution d’apprentissage, une institution sociale,
une organisation, une administration/entité juridique et un lieu de travail.
Elle remplit des fonctions critiques pour le fonctionnement de la société: sa
mission principale pour et au sein de celle-ci est d’assurer la transmission des
savoirs, savoir-faire et compétences sur lesquels se fonde le système culturel de
cette société.
En tant qu’institution, elle est également une organisation bureaucratique
caractérisée par une hiérarchie fonctionnelle et une «division du travail» entre
les groupes concernés (élèves, enseignants, chefs d’établissement, etc.) et par un
ensemble de règles qui régissent ses processus et son fonctionnement quotidien.
Ce caractère «ambigu» de l’école est peut-être le seul facteur vraiment important
qui incite les élèves à y participer ou à renforcer leur participation. La présente étude
n’a d’autre ambition que de dresser un état des lieux sommaire de la participation
des élèves en Europe. Ce travail mériterait néanmoins d’être poursuivi, afin de
rassembler des informations plus détaillées sur les expériences menées dans un
échantillon de pays européens représentatifs et, à partir de là, de proposer des
solutions.
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2. Perspective historique
D’un point de vue historique, le système éducatif et l’école sont caractérisés (au
moins depuis le début du XVIIIe siècle) par une bureaucratisation et un contrôle
gouvernemental importants. Avec l’essor de la société industrielle – qui s’est
accompagné du développement des organismes de protection sociale et de la
démocratie de partis – l’école et le système éducatif ont été soumis à des influences
de plus en plus fortes; l’Etat et l’administration ne pouvaient plus exercer sur
eux un contrôle exclusif, de sorte que la distance qui séparait le système de la
société dans son ensemble s’est quelque peu réduite. Par exemple, l’élaboration
des programmes scolaires devait tenir compte des qualifications requises par
l’économie. «L’éducation» est ainsi devenue un domaine politique à part entière.
Malgré cette «politisation» de l’éducation et de l’école, l’Etat continuait de
fixer les règles essentielles concernant pratiquement tous les aspects de la vie
et du milieu scolaires. Cela allait vraiment très loin. Prenons, par exemple, une
instruction émise en 1903 par un inspecteur d’école en Allemagne. Cet exemple,
qui n’a rien d’exceptionnel dans l’Europe d’alors, montre clairement que la vie des
élèves était soumise à la loi et à l’ordre, dans une discipline absolue et un esprit de
subordination qui allait de soi.
Afin de prévenir tout désordre pendant la classe, l’instituteur veillera:
– à ce que tous les élèves soient parfaitement alignés les uns derrière les autres
et se tiennent droits sur leur siège;
– à ce que tous les élèves gardent les mains croisées sur leur ardoise;
– à ce que leurs pieds reposent parallèlement sur le sol...
Il faut empêcher toute discussion et tout bavardage et, en tout état de cause, un
froncement de sourcil ou un simple rappel à l’ordre doit suffire à ramener le
calme dans la classe1.
Au cours des cent ans écoulés depuis, les perspectives du déroulement de la vie
quotidienne en classe et, plus généralement, à l’école et dans l’environnement
scolaire, se sont radicalement transformées. Une étape très importante a été
franchie dans les réflexions sur la modernisation de l’école en 1921, lorsque A. S.
Neill a fondé l’école de Summerhill (Grande-Bretagne), pensionnat progressiste
fondé sur la coéducation: «Summerhill est avant tout un lieu où les enfants peuvent
découvrir qui ils sont et quelle est leur place, dans la sécurité d’une communauté
démocratique autogérée2.»
1. Kehr, C., Wegweiser zur Führung einer geregelten Schuldisziplin, in Praxis der Volksschule, Gotha,
1903, pp. 65 et suiv., cité in Zeitlupe, 30, Bundeszentrale für politische Bildung, Bonn, p. 8.
2. http://www.summerhillschool.co.uk/pages/index.html
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Pour la première fois, on reconnaissait aux enfants le droit à la parole dans
l’organisation de leur emploi du temps, dans lequel rien n’était obligatoire.
A. S. Neill était convaincu que l’école traditionnelle allait dans la mauvaise
direction:
«La plupart du travail scolaire effectué par les adolescents est une pure perte de
temps, d’énergie et de patience. Il prive les jeunes de leur droit à jouer, jouer et
jouer encore, et fabrique des jeunes à tête de vieillards.»
Les idées de Neill ont profondément influencé les tentatives de réforme des
systèmes éducatifs; son «principe de la participation volontaire» était et reste
révolutionnaire. Elles ont aussi fait l’objet de critiques en raison de l’absence de
règles, de résultats scolaires inférieurs à la norme, de désordres, de problèmes de
drogue, de grossesses précoces, etc. Ces critiques paraissent cependant injustifiées:
l’école affirme qu’il n’y a jamais eu ni grossesses ni problèmes de drogue et que
les résultats obtenus sont supérieurs à la moyenne. L’école n’est nullement livrée
à l’anarchie: son règlement compte plus de 200 points, c’est-à-dire plus que dans
beaucoup d’autres écoles. Mais, contrairement à ce qui se passe dans les écoles
classiques, toutes les règles ont été fixées par le conseil paritaire de l’école, dans
lequel les enfants et les adultes ont les mêmes droits de vote. Summerhill peut
donc être qualifiée de «première démocratie des enfants».
En 2004, certaines de ces idées gagnent en importance et un consensus général
semble se dégager au niveau le plus large en ce qui concerne les objectifs
pédagogiques suivants:
• les enfants doivent avoir la possibilité de faire leur première expérience de la
démocratie à un stade très précoce de leur parcours scolaire1;
• dès leur jeune âge, il convient de leur donner les moyens de comprendre et de
respecter les principes démocratiques (c’est-à-dire «l’égalité») et les droits de
l’homme;
• dans le même temps, il faut leur donner les moyens de pratiquer la démocratie
de bonne heure: au principe de Kurt Gerhard Fischer selon lequel «on ne peut
faire l’expérience de la démocratie qu’à condition de l’avoir apprise» répond
le principe symétrique de Gisela Behrmann, pour qui «on ne peut apprendre ce
qu’est la démocratie qu’à condition d’en avoir fait l’expérience2».
L’instruction de 1903 citée plus haut est donc bien loin des préoccupations et
réflexions actuelles sur la participation accrue des élèves à la vie de l’école. Nous
ne l’avons citée ici que pour montrer combien il a dû être difficile d’apporter
1. Il existe même des modèles intéressants d’apprentissage démocratique dans un sens plus large dans
des maternelles et des structures d’éducation préscolaire.
2. Citation extraite de Himmelmann, G., «Demokratie-Lernen als Lebens-, Gesellschafts- und
Herrschaftsform», in Breit, G. et Schiele, S., Demokratie-Lernen als Aufgabe der politischen Bildung,
Bonn, 2002, p. 26.
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des changements dans de telles conditions. Dans le Land allemand du BadeWurtemberg, par exemple, les premiers changements annonciateurs d’une
démocratisation de l’école se sont produits après la seconde guerre mondiale,
lorsqu’on a commencé à vouloir associer les élèves à la réglementation de la vie
scolaire. Il a cependant fallu attendre encore huit ans pour que les droits des élèves
et des parents à la participation soient reconnus par la loi. Les mouvements, grèves
et manifestations d’élèves et d’étudiants de la seconde moitié des années 1960
ont finalement mené à un éclaircissement de la notion de «coresponsabilité» des
étudiants (Schülermitverantwortung).
D’autres pays européens ont connu une évolution similaire. Bien que la
participation des élèves et des parents à la vie de l’école ne soit pas une idée
nouvelle, il est indubitable qu’elle n’est vraiment mise en pratique que depuis
trente à quarante ans. Les tentatives antérieures manquaient de conviction et,
même si elles menaient à l’adoption de règles juridiques, elles finissaient souvent
par s’essouffler ou dégénéraient en mesures purement symboliques.
«Education civique1…»
1. Illustration: Hickel, Quelle et Meyer, in Bundesministerium für Unterricht und Kulturelle
Angelegenheiten, betrifft: demokratie lernen, Heft 2, Grundlagen und Rahmenbedingungen, Vienne,
1998, p. 11.
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3. Les droits de l’enfant
La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant est un traité international
adopté en novembre 1989 par l’Assemblée générale des Nations Unies, ratifié par
tous les pays du monde à l’exception de deux pays – les Etats-Unis et la Somalie.
Cette convention reconsidère les relations entre adultes et enfants. Les parents, les
enseignants et toutes les personnes en contact avec les enfants sont non seulement
considérés comme de simples prestataires, protecteurs ou défenseurs, mais aussi
comme des négociateurs et des facilitateurs. Ils sont censés créer des espaces et
promouvoir des processus conçus pour permettre aux enfants d’exprimer leurs
vues, d’être consultés et d’influer sur les décisions1.
Le directeur général adjoint de l’Unicef, Stephen Lewis, déclarait, dans un discours
devant la Commission des droits de l’homme, en 1999:
«Le changement le plus considérable apporté par la convention est le fait que
les enfants sont devenus incontournables. Les hommes politiques, les médias,
les ONG et le reste de la société civile se sentent manifestement obligés de
tenir compte des enfants dans leurs domaines de compétence, interventions,
dialogues, débats et mandats. Il n’est plus possible de faire impunément
abstraction des enfants. La convention a déclenché une formidable prise de
conscience.»
Cette vision générale des choses s’exprime de manière plus concrète dans les
articles de la convention qui traitent des droits des enfants à l’éducation et à la
participation.
L’article 12 de la convention indique que les enfants ont le droit de participer à
la prise des décisions pouvant avoir des répercussions sur leur vie et d’influer
sur ces décisions, que ce soit dans la famille, à l’école ou dans leur quartier ou
leur ville. L’application concrète du droit de participation des enfants doit être
envisagée pour toute question les concernant. Cet article indique aussi que les
enfants doivent être impliqués dans la concrétisation de leurs droits. En tant que
droit fondamental de l’enfant, le droit à la participation est un droit autonome, qui
exige un engagement clair et une action effective afin de devenir une réalité; il est
donc beaucoup plus qu’une simple stratégie.
C’est pour cette raison que le droit à la participation est reconnu comme l’un des
principes directeurs de la convention.
1. Voir le site web de l’Unicef (http://www.unicef.org) sur la Convention relative aux droits de l’enfant.
L’exposé qui en est fait ici se base sur la présentation de l’article 12 figurant sur le site.
19
Le droit à la participation:
– est considéré comme une valeur fondamentale orientant la manière dont les
différents droits sont garantis;
– constitue un critère pour l’évaluation des progrès réalisés dans l’application
des droits des enfants;
– est considéré comme une dimension complémentaire de la liberté d’expression
universellement reconnue et implique le droit des enfants à être entendus et à
faire valoir leur point de vue ou leur avis.
Respecter le point de vue des enfants signifie que celui-ci ne doit pas être ignoré,
ce qui ne veut pas dire que leur avis doit être automatiquement approuvé. Exprimer
une opinion, ce n’est pas prendre une décision, mais c’est la possibilité d’influencer
une décision. Il faut encourager un processus de dialogue et d’échanges dans
lequel les enfants puissent exercer des responsabilités croissantes et devenir
actifs, tolérants et démocrates. Dans ce processus, les adultes doivent indiquer
la direction et guider les enfants, tout en prenant en considération leurs opinions
d’une manière adaptée à leur âge et à leur maturité. De cette manière, les enfants
pourront comprendre les raisons qui font que certaines solutions sont retenues ou
certaines décisions prises alors qu’ils sont, eux-mêmes, d’un avis différent.
20
4. Approches de l’enseignement et de l’apprentissage
de la démocratie
Nous avons indiqué précédemment que les approches pédagogiques modernes
de l’apprentissage de la démocratie définissent celle-ci comme un mode de
vie, une forme de société et une forme de gouvernement. L’apprentissage de la
démocratie peut donc être lié à des concepts pédagogiques. Une approche globale
de la question pourrait commencer par une critique des «cultures d’apprentissage
dépassées1», que l’on trouve sans doute encore dans la plupart des milieux
éducatifs en Europe. L’objectif du débat devrait être de parvenir à des concepts
de réforme qui repenseraient l’école comme milieu de vie et d’expérience, et la
reconnaîtraient comme l’une des grandes institutions de la société. L’affirmation
courante selon laquelle «la démocratie commence à l’école» conduit naturellement
à cette conclusion.
La conception de la démocratie comme «mode de vie, forme de société et forme de
gouvernement» englobe trois manières de penser l’apprentissage de la démocratie,
qui doit allier la transmission d’une connaissance de la «démocratie politique»
avec «l’apprentissage de la vie en société» et «l’apprentissage par l’expérience».
C’est dans ce dernier sens qu’il convient de comprendre plus spécialement la
notion de «démocratie en classe2».
Figure 1 – Les différents aspects
de la démocratie en tant qu’éléments
d’apprentissage
Une forme de gouvernement/
d’organisation politique
Droits de l’homme – Primauté
du droit – Parlementarisme –
Séparation des pouvoirs
Une forme de société
Pluralisme – Résolution pacifique
des conflits – Société civile
Un mode de vie
Tolérance – «Poursuite du
bonheur» – Solidarité – Equité
– Autodétermination
1. Voir Grammes, Tilman, «Fallen für Demokratie-Lernen im alltäglichen Politikunterricht», document
non publié.
2. Voir Himmelmann, G., op. cit., 2002, pp. 28 et suiv., et plus particulièrement la figure 2 à la page 30.
Himmelmann renvoie aux concepts qui sont à l’origine de ces réflexions et que l’on trouve dans les
travaux de George H. Mead et John Dewey, et plus particulièrement dans le principal ouvrage de
Dewey, Democracy and Education, 1916, dans lequel figure l’argument bien connu selon lequel la
démocratie n’est pas seulement une forme de gouvernement, mais avant tout une forme d’expérience
commune.
21
Il est évident que le transfert de connaissances, d’aptitudes et de compétences
relatives aux trois aspects de l’apprentissage de la démocratie demande, tout au
long du parcours scolaire, des méthodes, des instruments et des approches variables
et adaptés à l’âge de l’élève. Si nous nous référons au concept pédagogique
classique de l’apprentissage, selon lequel celui-ci devrait se dérouler en «cercles
concentriques», pour aller du général vers l’abstrait, il devient évident que
l’apprentissage de la démocratie doit commencer aussitôt que possible et s’étaler
sur toute la scolarité. Toutefois, un jeune enfant ne peut pas être confronté aux
problèmes très complexes et souvent abstraits du gouvernement démocratique.
Gerhard Himmelmann déclare à ce propos:
«L’apprentissage de la démocratie doit commencer dans l’enseignement primaire.
Il doit d’abord présenter la notion de démocratie comme un mode de vie, faute
de quoi la démocratie en tant que forme de gouvernement resterait ensuite une
idée vide de sens, détachée de toute réalité. Donc, selon nous, les notions de
«concret», de «général» et d’«élémentaire», d’un point de vue pédagogique
général, se manifestent dans la possibilité donnée aux élèves de faire, en premier
lieu, l’expérience de la démocratie comme mode de vie – une expérience qui
peut ensuite être enrichie pas à pas pour conduire à une compréhension de la
démocratie comme forme de société et enfin comme forme de gouvernement1.»
Himmelmann conclut que chacun de ces trois niveaux d’enseignement devrait se
concentrer principalement – mais non exclusivement – sur un objectif essentiel de
l’apprentissage de la démocratie, en fonction de l’aptitude des élèves à étudier et
comprendre des problèmes de plus en plus complexes:
– dans l’enseignement primaire, la démocratie devrait avant tout être présentée
comme un «mode de vie». L’individu devrait être le centre d’intérêt, avec pour
objectif de permettre l’apprentissage de soi (compétence, développement,
expérience, responsabilité et contrôle relatifs à soi-même et acquisition de
dispositions morales). La démocratie comme mode de vie permet de relier
directement le processus d’apprentissage à la vie quotidienne des jeunes
enfants;
– dans le premier cycle de l’enseignement secondaire, l’accent devrait être
mis sur la «démocratie comme forme de société». Le centre d’intérêt serait
la collectivité, l’objectif étant alors de permettre l’apprentissage social et
l’acquisition de compétences sociales (coopération sociale, communication,
respect d’autrui, droits et responsabilités dans la collectivité, pluralisme,
conflits et résolution de conflits, société civile);
– dans le second cycle de l’enseignement secondaire, priorité serait donnée
à «la démocratie comme forme de gouvernement». L’acquisition d’une
1. Himmelmann, G., Demokratie-Lernen als Lebens-, Gesellschafts- und Herrschaftsform. Ein Lehrund Studienbuch, Schwalbach, 2001, p. 267.
22
«compétence politique démocratique» requiert une compréhension de
l’histoire et de l’émergence de la démocratie dans des conditions complexes,
ainsi que des différentes formes de participation et de la signification des
droits et responsabilités dans un système politique complexe. L’acquisition
de ces compétences passe par l’enseignement et l’apprentissage des droits de
l’homme, de la dignité humaine, du pouvoir, du contrôle et des processus de
prise de décisions.
Le modèle d’Himmelmann pour le transfert des «compétences démocratiques»
dans le contexte éducatif s’appuie donc sur cette question clé de la pédagogie:
quels aspects de l’apprentissage démocratique faut-il transmettre à tel ou tel niveau
d’enseignement? Il conclut – même si une séparation nette ne sera jamais possible
ni même souhaitable – que le processus d’apprentissage doit être lié à l’âge (ou
à un niveau d’enseignement). Le tableau 1 montre la répartition des différents
aspects de l’apprentissage de la démocratie dans le cadre du système scolaire.
Tableau 1 − Les compétences démocratiques dans le contexte éducatif1
La démocratie
en tant que
Niveaux
d’enseignement
Enseignement
primaire
Premier cycle de
l’enseignement
secondaire
Second cycle de
l’enseignement
secondaire
forme de
gouvernement
Objectifs de l’apprentissage de la démocratie
«Apprentissage de
«Apprentissage
«Apprentissage
soi»: compétence social»: compétence politique»: compéréflexive
sociale
tence démocratique
XXX
XX
X
mode de vie
forme de société
XX
XXX
X
X
XX
XXX
X = Importance de l’objectif.
Ces objectifs de l’apprentissage de la démocratie, du moins en ce qui concerne
«l’apprentissage de soi» et «l’apprentissage social», correspondent pleinement
aux exigences antérieures, telles que «l’acquisition des aptitudes indispensables
pour la société civile», formulées dans les années 1980 par le pédagogue allemand
Wolfgang Klafki. Les Onze thèses pour une nouvelle conception de l’enseignement
général de Klafki comprennent des aptitudes essentielles telles que «la capacité
et la disposition à formuler clairement une critique», les «capacités requises pour
le débat», «l’empathie», «l’aptitude à coopérer» et la «créativité». Selon Klafki,
ces exigences ont certaines conséquences sur l’organisation et la méthodologie
1. Ibid., p. 269.
23
de l’apprentissage; elles supposent notamment une plus grande autonomie de
l’école, le développement du travail d’équipe chez les enseignants, l’apprentissage
multidimensionnel et un renforcement des activités de formation continue des
enseignants.
24
5. Pratiquer et vivre la démocratie à l’école
5.1. Pratiquer la démocratie dans l’enseignement primaire
La plupart des gens prétendront qu’il est vain de vouloir pratiquer la démocratie
à l’école primaire, c’est-à-dire avec des enfants relativement jeunes, la tentative
étant vouée à l’échec en raison de la complexité des questions politiques.
L’argument n’est pas recevable, même si l’on se fonde sur les approches
pédagogiques les plus traditionnelles et conservatrices de l’éducation civique.
L’enseignement primaire moderne s’efforcera de répondre au mot d’ordre invitant
à repenser l’école comme «lieu de vie, d’expérience et d’apprentissage». Dans cet
environnement, les concepts «d’apprentissage ouvert» de la pédagogie scolaire
semblent particulièrement adaptés à la transmission des notions de l’éducation à la
démocratie, puisque l’objectif de cette dernière est de contribuer au développement
d’attitudes responsables et émancipées. Dans un contexte éducatif dominé par
une conception de l’apprentissage et de l’enseignement à la fois traditionnelle,
hiérarchique et axée uniquement sur l’instruction, une telle démarche semblerait
inutile.
La liste des principes de base établie par une institutrice allemande pour sa classe
doit être considérée dans le contexte plus large des principes démocratiques et
des droits fondamentaux énoncés dans les Constitutions et les conventions
internationales (principes que j’ai ajoutés entre parenthèses)1:
– chaque enfant est une personne unique qui a ses propres droits et sera acceptée
et traitée en tant que telle (dignité humaine, égalité);
– chaque enfant a ses forces et ses faiblesses. Il doit avoir la possibilité de montrer
ses forces et ne pas être obligé de cacher ses faiblesses (non-discrimination,
respect de la diversité individuelle, culturelle et religieuse, solidarité);
– aucun enfant ne doit avoir peur (droit de ne pas vivre dans la crainte et de ne
pas être soumis à la persécution);
– aucun enfant ne doit être blessé, que ce soit en paroles ou en actes (inviolabilité
de la dignité humaine, droit à la vie, droit au respect de l’intégrité physique et
psychique);
– chaque enfant doit avoir le droit d’exprimer son opinion (liberté de conscience,
de religion, d’expression et d’information);
1. Les principes de la vie en classe ont été extraits de Prote, Ingrid, «Moeglichkeiten des Einuebens
von Demokratie in der Grundschule», in Hepp, G. et Schneider, H., Schule in der Buergergesellschaft,
Schwalbach, 1999, p. 210. J’ai ajouté entre parenthèses les principes démocratiques et les droits
fondamentaux correspondants, tels qu’exprimés dans la Loi fondamentale (la Constitution
allemande).
25
– dans les décisions communes, chaque enfant a une voix (droit de vote, droits
civiques);
– nous nous entraidons. Nous travaillons ensemble (solidarité);
– nous nous traitons avec amitié et respect (respect de l’autre, tolérance).
Histoire vécue dans une école primaire allemande
La même institutrice a raconté l’incident suivant: un jour, en cours d’écologie,
les enfants sont allés dans un champ situé près de l’école pour étudier les plantes
et les animaux qui y vivaient. On leur avait demandé de rapporter en classe un
échantillon des différents insectes qu’ils avaient découverts. Après la leçon,
ils sont ressortis pour aller remettre les insectes à l’endroit précis où ils les
avaient trouvés. Entre-temps, le fermier à qui appartenait le champ (qui avait
probablement vu les enfants dans son champ qu’il avait arrosé d’insecticides)
avait accroché un écriteau à la clôture, sur lequel figurait un squelette, avec la
mention: «Défense d’entrer. Produits chimiques toxiques!» Les enfants étaient
horrifiés et ont rapporté les insectes en classe. Il s’en est suivi une discussion
animée. La plupart des enfants étaient convaincus que le fermier devait ignorer
qu’il y avait autant d’insectes différents dans son champ et qu’il les tuerait en
l’arrosant de produits chimiques. Ils ont alors décidé de lancer une campagne
d’information. Ils ont fait des pancartes et organisé une petite manifestation
dans le village. L’un d’eux a été chargé de téléphoner au fermier au nom de
la classe, de l’informer du mal qu’il avait fait aux insectes et de lui demander
pourquoi il l’avait fait. Le fermier a répondu: «C’est mon champ. Je fais ce que
je veux avec.» La réponse a provoqué un débat passionné, pas seulement entre
les enfants, mais aussi entre eux et leurs parents, et avec d’autres enseignants.
L’institutrice s’était délibérément contentée de faciliter la discussion et de faire
le point des conclusions. Toutes les actions ont été décidées par le groupe. Cette
histoire peut sembler anodine, mais c’est en fait un très bon exemple de la
manière dont une leçon peut prendre une tournure surprenante et ouvrir un espace
complètement nouveau au débat et à l’action démocratiques dans un contexte plus
large, en donnant l’occasion de se confronter aux véritables problèmes politiques
et en mettant en jeu la responsabilité sociale, la liberté d’expression, la liberté de
faire connaître sa volonté, l’information du public, l’engagement et la participation
active, la prise de décisions démocratiques.
Cet exemple montre que des situations d’apprentissage quotidiennes peuvent tout
à coup déboucher, de manière inattendue, sur des situations qui seront l’occasion
d’une leçon de démocratie imprévue. Pour que ces occasions puissent être mises
à profit:
– l’enseignant doit avoir la liberté de décider sur le vif d’exploiter la situation et
de choisir la manière de le faire;
26
– les programmes doivent laisser une liberté et une flexibilité suffisantes;
– l’école doit être préparée à accepter et à accueillir ces «situations d’apprentissage
ouvert», et favoriser le contact avec des groupes et organisations extérieurs et
leur inclusion.
En regardant plus loin que les murs de la salle de classe, on verra que les occasions
de pratiquer la démocratie à l’école sont nombreuses. L’exemple suivant vient
d’une école primaire en Suisse.
«Projet RENGS: les enfants participent aux décisions», école Riedholz,
canton de Soleure, Suisse1
Lorsqu’il a fallu agrandir l’école et la cour de récréation, l’occasion a été
mise à profit pour réorganiser et institutionnaliser le droit de codécision des
enfants dans la vie scolaire. L’idée de base était de créer une école qui offre «un
environnement propice au meilleur développement possible de l’enfant».
La rénovation de la cour de récréation a été utilisée pour encourager la
participation des élèves: les enfants ont été impliqués dès le début dans le
projet de reconstruction. Ils ont dû apprendre que si beaucoup de choses sont
possibles, toutes ne le sont pas. Il y a eu beaucoup de discussions et il a fallu
abandonner de nombreux souhaits.
D’un autre côté, les bases de l’institutionnalisation des procédures de codécision
étaient jetées: il y a maintenant des assemblées mensuelles avec les délégués
de classe et deux assemblées générales par an, avec tous les élèves. L’échange
d’idées, de critiques et de suggestions a donné aux enseignants un outil précieux
pour apprendre à mieux connaître les besoins, les désirs et les visions des
enfants, les forces et les faiblesses du système scolaire et rassembler des idées
pour de futures initiatives.
Ce fonctionnement a permis non seulement d’amener les élèves à se sentir
plus concernés, de donner plus d’assurance aux délégués et d’améliorer
la communication dans l’école, mais aussi d’instaurer une dynamique
d’amélioration de la qualité de l’école.
Un autre exemple très intéressant de projet scolaire global est celui du modèle
éducatif alternatif de Zornitza, en Bulgarie. Ce modèle est remarquable dans la
mesure où l’école a été créée d’emblée pour concrétiser cette approche éducative
alternative. Elle combine la mise en place d’une structure démocratique formelle
dans l’organisation de l’école avec une approche plus ludique incorporant certains
éléments d’un jeu de simulation.
1. RENGS: Regionales Netzwerk gesundheitsfördernder Schulen der Kantone Aargau und Solothurn
(Réseau régional des écoles des cantons d’Aargau et de Soleure pour la santé); voir le rapport
«Partizipation – Kinder bestimmen mit», in Schulblatt AG/SO, 25, 2002, pp. 22 et suiv.
27
Ecole primaire de Zornitza, modèle éducatif alternatif, Sofia, Bulgarie
Le modèle éducatif alternatif a été créé en 1997 par des enseignants. Le
fonctionnement de l’école obéit entièrement à ce modèle. D’après la
description du projet, l’école a mis en place ce modèle pédagogique alternatif
tout en observant les instructions générales du gouvernement, telles que les
priorités éducatives fixées par l’administration, les programmes et le système
de classes et de cours: «Ce programme est conforme aux concepts actuels de
développement des enfants […] Les enfants participent à toutes les activités qui
développent les capacités analytiques et l’estime de soi […].
Un conseil général réunissant tous les élèves et tous les enseignants a lieu en
début d’année scolaire (ou peut être convoqué en cours d’année, à la demande
des élèves ou des enseignants). Ce conseil répartit les responsabilités entre
élèves et professeurs, décide du plan scolaire pour l’année et élit les groupes
d’aide mutuelle.
Il y a aussi un «Conseil des ministres de l’école», au sein duquel certaines
fonctions et responsabilités sont déléguées aux élèves (ainsi, un ministre de
la Culture organise des fêtes et expositions, un ministre de la Justice veille au
respect des droits des enfants dans l’école, un ministre des Affaires intérieures
s’occupe des relations entre les élèves et de la résolution des conflits, etc.).
Le modèle de Zornitza a été approuvé par le ministère de l’Education en 1997 et
le concept a été publié en 1998. Sa poursuite dépend des évaluations conduites
chaque année. L’école peut ainsi réagir aux nouveaux développements et remédier
aux faiblesses apparentes dans le concept et la pratique. Zornitza semble être un
bon exemple pour la réforme des systèmes éducatifs des nouvelles démocraties
d’Europe du Sud-Est.
Pourquoi s’intéresser à ces questions dans le cadre d’une étude sur la participation
des élèves? La réponse est évidente: ces exemples, comme de nombreux autres
qu’il n’est pas possible de présenter ici, montrent que l’enseignement primaire
offre non seulement un espace au vécu démocratique, mais aussi un terrain
d’expérimentation pratique («on ne peut apprendre ce qu’est la démocratie qu’à
condition d’en avoir fait l’expérience»).
Ces exemples montrent très clairement qu’il faut donner plus d’importance aux
modèles novateurs développés à partir de projets orientés sur la pratique, qui
peuvent servir de «modèles de bonnes pratiques» dans l’enseignement primaire
pour beaucoup d’autres écoles. Il n’est absolument pas nécessaire de «réinventer
la roue» dans toutes les écoles qui souhaitent introduire un climat démocratique.
28
5.2. Pratiquer la démocratie dans l’enseignement secondaire
La participation démocratique ne peut se limiter à l’élection d’un délégué de
classe et à l’organisation des fêtes scolaires par les élèves et les professeurs. C’est
un apprentissage et un enseignement global, qui peut, comme nous avons tenté
de le montrer dans la section précédente, commencer à un stade très précoce.
En même temps, ce sont là des exemples de mise en pratique de la démocratie
dans l’environnement de travail de l’école d’une grande utilité dans la mesure
où ils permettent de visualiser plus clairement le contenu de l’apprentissage de la
démocratie en milieu scolaire.
Grâce à cela, nous pouvons avancer dans notre tentative de trouver des réponses
à l’autre question, plus concrète, posée ici: comment définir, dans la pratique,
l’apprentissage démocratique en milieu scolaire et quelle est la meilleure façon de
réussir cet apprentissage?
Considérons plusieurs exemples pris dans l’enseignement secondaire, dont un
concept formel de communauté scolaire démocratique (l’école Schumann de
Babenhausen, en Allemagne) et une approche plus ludique de «l’école comme
Etat» (Heuss-Knapp-Gymnasium, Heilbronn, Allemagne).
Un exemple de bonne pratique: l’école Schumann de Babenhausen,
Allemagne
Un concept intéressant pour une «l’éducation démocratique» a été développé
à l’école Joachim Schumann de Babenhausen, en Allemagne. En 1998,
la communauté scolaire a présenté un concept dont les objectifs sont les
suivants:
– créer un environnement propice à l’apprentissage de la démocratie;
– renforcer les ressources productives de l’école;
– améliorer l’ambiance de l’école;
– participer au débat actuel sur les valeurs.
On trouve ce type d’objectifs dans de nombreuses «directives» ou «orientations»
formulées par les écoles à travers toute l’Europe, mais le concept de Babenhausen est
intéressant car il met en avant les aspects et avantages essentiels de l’apprentissage
de la démocratie tel qu’il est pratiqué:
En donnant aux élèves et aux étudiants la possibilité de participer activement à
l’organisation des activités quotidiennes de l’école, on leur apprend à se faire
mutuellement confiance et à se sentir responsables vis-à-vis des autres, mais
aussi à se sentir davantage responsables de tout ce qui se passe dans l’école.
29
En affrontant les problèmes et conflits qui existent au sein de la communauté
scolaire dans une plus grande transparence, les élèves et les étudiants pourront
acquérir des compétences démocratiques; les meilleurs arguments pourront
prévaloir et les décisions prises de manière démocratique seront acceptées et
appliquées par la communauté scolaire.
L’apprentissage de la démocratie aura un effet positif sur le comportement
démocratique, les jugements de valeur et les opinions, le développement des
facultés cognitives; il aura aussi des effets positifs sur l’ambiance de l’école en
général.
L’importance didactique des jeux de simulation ou de l’apprentissage de la
démocratie par le biais de projets ne doit pas être sous-estimée. Une approche
privilégiant la fonction de l’enseignant n’aura jamais les mêmes résultats qu’une
approche destinée à stimuler un apprentissage déterminé par l’élève et laissant
de la place à la créativité, à l’indépendance, à la motivation et à l’acquisition de
connaissances factuelles. Un modèle de jeu de simulation nous est fourni par le
projet scolaire présenté ci-dessous.
Projet scolaire «L’école comme Etat», Heuss-Knapp-Gymnasium,
Heilbronn, Allemagne
Le projet «L’école comme Etat» s’est déroulé en juillet 2000, au Heuss-KnappGymnasium de Heilbronn, en Allemagne. Le but était d’organiser l’école
comme une république, la République d’Elevia. Pendant la durée du projet
(quatre jours), les élèves et les professeurs constituaient le «peuple d’Elevia» et
tous les éléments caractéristiques d’une démocratie devaient être mis en place:
– un hymne national et un drapeau;
– une Constitution démocratique énonçant les droits fondamentaux et civiques
de tous les citoyens;
– des partis politiques libres et indépendants;
– un président (élu au suffrage universel direct);
– un parlement (élu au suffrage universel direct);
– un Premier ministre (élu par le parlement) et un gouvernement;
– des fonctionnaires (responsables de la banque centrale, des forces de police,
etc.);
– un journal quotidien;
– une monnaie contrôlée par une «banque centrale» et valable dans toute
l’école;
– des entreprises et sociétés libres, pourvoyant des emplois;
– des institutions judiciaires et des tribunaux avec des juges;
– des institutions culturelles.
30
Le projet a été conçu et organisé par le Conseil des élèves de l’école, en
coopération avec les enseignants. Pendant les quatre jours, toute l’école est
devenue l’Etat d’Elevia. Des partis politiques ont été fondés; des entreprises ont
été créées et commencèrent à vendre leurs produits; une monnaie nationale a été
introduite, avec un taux de change fixe; le parlement et le président ont été élus
et, lors d’une cérémonie publique, le principal du lycée a félicité le président
nouvellement élu et remis les clés de l’école aux nouveaux dirigeants. Après
le projet, une évaluation a été effectuée, confirmant que le projet, en dépit des
risques, était considéré comme une réussite par toutes les personnes et tous les
groupes impliqués. 80 % des élèves ont déclaré s’être beaucoup amusés et 70 %
souhaiteraient que l’expérience soit renouvelée. Ils ont indiqué qu’ils avaient
appris beaucoup de choses sur le fonctionnement d’un Etat démocratique,
notamment que tout le monde devait collaborer et que l’engagement politique
était d’une grande importance1.
On trouve d’autres exemples intéressants de l’apprentissage de la démocratie par
la pratique dans de nombreux pays. Ces exemples se basent essentiellement sur
les éléments suivants:
– le principe fondamental de l’égalité entre toutes les personnes et tous les
groupes concernés;
– une philosophie et une mise en pratique de la codétermination autonome pour
tout ce qui concerne la vie et l’enseignement à l’école;
– le principe de l’autoréglementation;
– une perspective nouvelle et complètement différente du pouvoir et de son
utilisation;
– une culture vivante du conflit et de la résolution de conflits, dans une ambiance
scolaire agréable2.
«Contenus démocratiques – la microdémocratie»
Ecole de l’association «Gemeinsam Lernen» (Apprendre ensemble),
Vienne, Autriche
La démocratie appliquée par le biais de l’autogestion
Toutes les personnes concernées (jeunes, parents, enseignants) sont responsables
de tout ce qui se passe dans l’école.
Chacun se charge d’une tâche correspondant à ses aptitudes et compétences.
1. Landeszentrale für politische Bildung Baden-Württemberg, «Elevia – man denkt fast an Utopia.
Schule als Staat – handlungsorientiert Demokratie lernen? Ein Unterrichtsprojekt», Heilbronn,
Stuttgart, septembre 2001.
2. Kreissler, L., Wunsch-Grafton, B., «Demokratie in der Praxis ist eine lustige Sache (Kurt Tucholsky)
– Einleitung», in Bundesministerium für Unterricht und kulturelle Angelegenheiten, betrifft: demokratie
lernen, Heft 5, Vienne, 1998, p. 2.
31
Chacun a la possibilité de contribuer à déterminer la physionomie de l’école.
Principes de la démocratie scolaire: les élèvent choisissent leurs propres
activités et celles de leur groupe.
Ils respectent les droits des autres et le contexte social général de l’école.
La subordination et la passivité sont remplacées par la liberté de choix, la
responsabilité, la coopération, les initiatives créatives et le droit de dire non.
La pratique d’une microdémocratie
L’objectif est d’appliquer et d’expérimenter le principe fondamental d’une
collectivité scolaire juste et axée sur le partenariat.
L’apprentissage doit se dérouler dans une ambiance et un esprit exempts de
craintes.
L’approche globale de l’apprentissage se concrétise par des offres de projets.
Ces projets sont définis en fonction des intérêts, des besoins et des expériences
des jeunes.
Les styles et formes d’enseignement sont très divers; les modalités en sont
fixées en début d’année par le groupe de participants. L’initiative personnelle
est encouragée.
Les principes d’apprentissage
Libre choix du travail à effectuer; le travail et les activités ludiques sont placés
sur le même niveau que les autres activités et se déroulent sans contrôle,
de manière à créer une atmosphère stimulant la responsabilité et l’initiative
personnelles.
Les projets pluridisciplinaires sont organisés de manière flexible et permettent
aux élèves d’aborder les problèmes sous différents angles. Ces projets sont
aussi fréquemment réalisés en liaison avec d’autres réseaux scolaires.
Les projets collectifs réalisés dans certains domaines d’apprentissage font
appel à des experts extérieurs, qui interviennent souvent sur des sujets très
spécialisés.
Une expérience pratique peut être acquise par des «stages» de courte durée dans
des entreprises et organisations extérieures à l’école.
Il existe aussi des projets d’apprentissage destinés aux parents.
32
Les modèles présentés ici suffisent à illustrer clairement la grande variété de
possibilités et d’idées créatives qui existent pour appliquer concrètement le principe
de la démocratie dans la vie de l’école. Il n’est pas du tout illusoire et absolument
pas impossible de réinventer ou de repenser l’école comme une communauté
d’apprentissage opérationnelle, pour autant qu’on le veuille vraiment et que l’on
soit prêt à s’en donner les moyens. Cette idée de communauté d’apprentissage ne
pourra cependant fonctionner que si certaines conditions sont réunies.
«Halte là! Restez ici! On a besoin de candidats!»
Illustration: Stefan Rasch1.
Les conditions de fonctionnement d’une communauté d’apprentissage
Pour préparer les étudiants à leur futur rôle de citoyens informés, responsables,
démocrates et actifs, la vie scolaire et l’enseignement doivent être fondés sur un
esprit d’égalité, de flexibilité, de responsabilité et d’autodétermination.
L’apprentissage pratique de la démocratie nécessite de repenser et de réorienter
la conception des programmes, les procédures administratives de l’école,
les politiques éducatives mais aussi et surtout les fondements juridiques
de l’école. Le refus du changement, le manque de flexibilité, la lenteur et
l’incapacité à innover, que l’on peut malheureusement observer à tous les
niveaux de l’administration scolaire, et dans toute l’Europe – du personnel et
de l’administration des écoles jusqu’aux ministères –, constituent peut-être les
obstacles les plus sérieux à la refonte démocratique de la vie scolaire.
1. In op. cit., Heft 5, pp. 24-25.
33
L’apprentissage pratique de la démocratie requiert des efforts particuliers pour
inclure tous les autres «acteurs» du processus éducatif, comme les entreprises,
la collectivité locale, les associations bénévoles et les organisations non
gouvernementales dont l’activité est en rapport avec le milieu scolaire.
L’apprentissage pratique de la démocratie exige l’engagement total,
inconditionnel et durable des directeurs d’établissements, des enseignants et
des parents: proviseurs et enseignants doivent apprendre à comprendre et à
percevoir les possibilités pédagogiques qu’ouvre le fait de laisser aux élèves
une plus grande indépendance et plus de responsabilités; de même, les parents
doivent comprendre et percevoir le rôle étendu qui est le leur dans le contexte
scolaire.
34
6. Vers une typologie de la participation des élèves
dans la vie de l’école
Dans les chapitres précédents, nous avons tenté de montrer que l’école ne doit pas
se contenter:
– d’avoir pour objectif l’enseignement de la démocratie: elle doit aussi s’efforcer
d’être aussi démocratique que possible;
– de former les élèves pour leur futur rôle de citoyens: elle doit aussi s’efforcer
de développer activement chez eux une attitude démocratique;
– de se considérer comme une entité juridique ou une institution: elle devrait
aussi développer des liens avec des agents de socialisation extérieurs, afin de
créer un environnement éducatif caractérisé par un climat démocratique vivant,
qui permette la participation directe des élèves aux affaires qui les concernent
au quotidien.
Nous avons tenté, en outre, de montrer que l’apprentissage pratique de la
démocratie peut se faire dans des conditions et des formes très variables. Bien
que ses résultats soient de la plus grande importance pour le fonctionnement de
la société civile démocratique, cet apprentissage peut être organisé de manière
intéressante, fascinante et même ludique.
6.1. Domaines ouverts à la participation des élèves
La forme et le degré de participation dans les écoles différant très largement d’un
bout à l’autre de l’Europe, on peut établir une «échelle des contenus donnant lieu
à participation», des niveaux les plus simples de pure information en passant par
différents degrés de contribution active aux processus de consultation, jusqu’à
la participation pleine et entière aux prises de décision, au lancement de projets
et d’idées, à la réalisation de programmes et de solutions, et à l’évaluation des
résultats (figure 1).
Pour résumer: l’apprentissage de la démocratie à l’école commence au niveau de
l’élève considéré individuellement. Il a certains droits qui sont le plus souvent
définis dans les dispositions juridiques relatives aux mineurs. Comme indiqué
dans le chapitre 3 , la Convention sur les droits de l’enfant reconnaît clairement un
droit de participation, un droit à l’information et un droit à la liberté d’expression.
Dans le cadre scolaire, ces droits peuvent être compris à la fois comme des droits
individuels et comme des droits collectifs.
35
Figure 2 − Sept niveaux de participation des élèves
Participation à la prise de décisions, initiatives,
application de solutions et évaluation des résultats
Consultation pour la définition des problèmes
et la préparation des décisions
Coopération pour l’application de programmes
Participation à la conception de stratégies ou à la planification
de programmes
Contribution par la participation aux réunions et par le travail
Contribution aux ressources ou au matériel
Information de base et réception passive des décisions
A partir de là, au moins huit domaines se prêtent potentiellement à une participation
significative des élèves:
– affaires personnelles: les questions personnelles et les conflits relatifs à la
conciliation des intérêts et des problèmes de l’élève;
– affaires de groupe: les questions et les conflits concernant les relations entre
élèves ou groupes d’élèves;
– affaires de classe: les questions et les conflits concernant la classe et
l’enseignant, les activités, les projets, la résolution de conflits entre élèves;
– affaires scolaires: les questions et conflits concernant l’ensemble des
élèves et la direction et l’administration de l’école, les projets scolaires, la
communication avec la collectivité locale, les festivités, l’environnement
scolaire;
– affaires d’organisation et de personnel: les questions et conflits relatifs
à la réglementation de la vie scolaire, aux relations avec le personnel, aux
bâtiments, à l’administration, aux transports;
– questions relatives aux contenus et méthodes: les questions et conflits
relatifs au choix du contenu des cours, aux méthodes d’enseignement et aux
projets thématiques;
– questions relatives aux programmes et aux politiques éducatives: les
questions et problèmes concernant la réglementation des programmes et son
interprétation, le choix des sujets, l’évaluation des élèves;
36
– liens avec les activités extra-muros: les questions et problèmes concernant
les relations de l’école avec l’extérieur, les activités extrascolaires, la
collaboration avec des organismes extérieurs à l’école.
6.2. Formes de participation des élèves
Dans une école ouverte à la participation démocratique, l’enseignement social,
politique et l’apprentissage de la démocratie fondé sur l’expérience et des activités
pratiques sont étroitement liés. Les formes que prend cette participation sont très
variables d’un pays européen à l’autre. Une typologie possible pourrait recouvrir
différentes formes très différentes:
– participation parlementaire: structure formelle ou hiérarchique de
représentation répandue au niveau de la classe, de l’école, de la région ou du
pays, fondée sur l’élection de porte-parole, de délégués ou de représentants;
– participation ouverte: formes de participation plus ou moins informelles
pour des actions spontanées ou concernant une affaire donnée et basées sur la
définition et le diagnostic de problèmes existants, la collecte d’informations,
la définition de priorités et le développement de solutions;
– participation par projet: participation concernant un seul problème dans le
cadre d’un projet unique, souvent dans le contexte d’une question thématique
ou du processus d’enseignement;
– jeux de simulation sur la participation: la participation et les procédures
démocratiques sont exercées de façon ludique, par exemple par la simulation
d’un «Etat-école», avec un président, un gouvernement, un parlement, des
médias, etc.;
– participation à la résolution de problèmes: la résolution de conflits en
classe ou à l’école est, par exemple, organisée par les élèves eux-mêmes et
englobe la médiation, des «pilotes de conflit», des auditions, des décisions et
des procédures d’application de ces dernières.
6.3. Domaines d’application de la participation des élèves
Structures participatives
Délégués de classe
Conseil de classe
Représentation des élèves
Parlement scolaire
«Communauté des justes»
Représentation régionale/nationale des élèves
37
Apprentissage participatif
Participation à la vie
quotidienne de l’école
Participation hors de l’école
38
Responsabilité de son propre apprentissage
Responsabilité de l’apprentissage commun
Apprentissage participatif sur des sujets donnés
Offres curriculaires pour l’apprentissage participatif
Projets de classe
Apprentissage social
Intégration
Gestion des conflits
Prévention de la violence
Festivités et célébrations
Projets d’école
Relations avec
− d’autres écoles
− des structures préscolaires
− des écoles pour enfants en situation difficile
− des entreprises
− la municipalité
− d’autres partenaires extérieurs
Programmes d’échange scolaire internationaux
7. Vers une charte européenne pour une école
démocratique sans violence
En novembre 2003, les projets intégrés 1 et 2 du Secrétariat du Conseil de l’Europe
ont lancé une initiative qui pourra contribuer significativement à promouvoir
l’apprentissage actif de la démocratie dans les écoles européennes.
La philosophie de ce projet correspond tout à fait au concept de participation
des élèves: la charte se compose entièrement de contributions venant des jeunes,
qui en ont aussi assuré la rédaction. L’idée est tout à fait nouvelle, et même
révolutionnaire1:
Afin de rassembler les expériences et les conclusions d’initiatives pilotes effectuées
dans toute l’Europe dans un document qui pourrait aider de nombreuses écoles à
faire participer les élèves et les enseignants à la prise des décisions les concernant,
le Conseil de l’Europe a lancé un projet d’élaboration d’une Charte européenne
pour une école démocratique sans violence.
Plus de 120 écoles à travers l’Europe ont exprimé un intérêt pour le projet. Un
comité d’experts du Conseil de l’Europe et du milieu de l’éducation a choisi les
26 meilleures contributions envoyées par des écoles de 19 pays européens. Les
écoles choisies ont été invitées à envoyer des délégués à une conférence de projet
qui a eu lieu du 14 au 18 juillet 2004. Plus de 50 étudiants délégués se sont réunis
au Centre européen de la jeunesse à Strasbourg pour rédiger et adopter la charte.
Les participants ont traduit la charte vers leurs langues maternelles. Un référendum
électronique a eu lieu du 11 au 22 octobre 2004, en partenariat avec la république
et le canton de Genève (Suisse).
Charte européenne pour une école démocratique sans violence
1. Tous les membres de la communauté scolaire ont le droit de vivre dans un
établissement sûr et sans violence. Chacun est tenu de contribuer à la création
d’un environnement favorable à l’étude et à l’épanouissement personnel.
2. Tous, sans distinction, ont droit au respect et à l’égalité de traitement. Chacun
doit pouvoir exercer sa liberté de parole sans risque de discrimination ou de
répression.
3. La communauté scolaire veille à ce que chacun soit conscient de ses droits
et de ses devoirs.
1. Voir http://www.coe.int/T/F/projets-integres/Democratie/02-Activit%E9s/Charte-europeenne-del’ecole/default.asp.
39
4. Tout établissement scolaire démocratique est doté d’un organe décisionnaire
démocratiquement élu, composé de représentants des élèves, des enseignants et
des parents, et d’autres membres de la communauté scolaire, s’il y a lieu. Tous
les membres de cet organe ont le droit de vote.
5. Dans un établissement scolaire démocratique, les conflits sont réglés de
manière non violente et constructive, en partenariat avec tous les membres de la
communauté scolaire. Dans chaque établissement, des membres du personnel et
des élèves ont appris à prévenir et résoudre les conflits au moyen de techniques
d’accompagnement et de médiation.
6. Tout acte de violence donne rapidement lieu à une enquête et à des mesures
appropriées, qu’il concerne des élèves ou d’autres membres de la communauté
scolaire.
7. L’établissement scolaire fait partie de la communauté locale. Il est
indispensable de coopérer et d’échanger des informations avec les partenaires
locaux pour prévenir et résoudre les problèmes.
40
Deuxième partie:
pratique de la participation
démocratique à l’école
Remarque, deux points,
la démocratie est un mode de vie
et une forme de gouvernement,
virgule, fondée sur l’égalité,
virgule, la liberté et la dignité
humaine, point virgule, elle interdit
les peines ou traitements inhumains,
point. Bla bla bla…
ET MAINTENANT, TAISEZVOUS ET ÉCRIVEZ OU JE
VOUS METS DES NOTES QUE
VOUS NE SEREZ PAS PRÊTS
D’OUBLIER !
Illustration: Stefan Rasch1.
1. In op. cit.
8. La participation des élèves en Europe
En octobre 2002, le projet «Education à la citoyenneté démocratique» (ECD) du
Conseil de l’Europe a décidé de collecter des données sur la participation des
élèves dans les Etats membres. Cette collecte a été achevée en mai 2003 et a été
réalisée à l’aide de trois instruments:
– un questionnaire, adressé en décembre 2002 aux 48 représentants nationaux du
réseau de coordinateurs ECD du Conseil de l’Europe;
– une collection de «rapports nationaux» sur la participation des élèves, remis à
la demande du Conseil de l’Europe;
– des commentaires ponctuels et des compléments d’information demandés par
le directeur de l’étude.
Figure 3 − Liste des pays ayant contribué à l’étude du Conseil de l’Europe
(au 1er mai 2003)
l
l
l
l
l
l
l
l
l
l
l
l
l
Albanie
Allemagne
Andorre
Autriche
Belgique (flam.)
Belgique (franc.)
Bulgarie
Chypre
Croatie
Espagne
Finlande
France
Grèce
l
Hongrie
l
Portugal
l
l
l
Irlande
Islande
l
Rép. tchèque
Roumanie
l
Italie
l
Royaume-Uni
l
l
l
Kosovo
Luxembourg
l
Russie
Serbie
l
Macédoine
l
Slovaquie
l
Malte
l
Slovénie
l
Moldova
l
Suède
l
Norvège
l
Suisse
l
Pays-Bas
l
Turquie
l
Pologne
l
Ukraine
Au total, 18 pays ou régions ont fourni des réponses complètes (questionnaires et
rapports nationaux); 19 autres coordinateurs ont envoyé soit le questionnaire, soit
un rapport national. Par conséquent, les réponses donnent des informations et/ou
des données sur 37 pays ou régions (en d’autres termes, 75 % des 48 coordinateurs
ECD ont répondu). Douze pays ou régions n’ont fourni aucune information ou
n’ont pas répondu de manière satisfaisante1.
1. Chaque fois que l’expression «dans tous les pays» est employée, elle correspond aux réponses
fournies pour notre étude, c’est-à-dire les pays dont les coordinateurs ECD ont rempli et renvoyé le
questionnaire. Il ne s’agit donc pas de «tous les pays d’Europe».
43
8.1. Base juridique de la participation des élèves
Dans tous les pays sauf un, la participation des élèves s’appuie sur des textes
juridiques, lois, arrêtés, règlements ou autres dispositions. En Fédération de
Russie, il ne semble pas y avoir de disposition applicable à l’ensemble du pays en
ce qui concerne la participation des élèves, mais de nombreuses régions ont mis
en place leur propre dispositif.
La mention de la participation ou de la coresponsabilité démocratique des élèves
dans les affaires de l’école ou les questions d’éducation dans la Constitution
nationale semble être l’exception. Dans la plupart des pays qui ont répondu
au questionnaire, la Constitution mentionne, d’une manière ou d’une autre,
la reconnaissance du droit des enfants à être entendus dans les affaires qui les
concernent au quotidien. De nombreuses Constitutions, telle celle de l’Espagne,
traitent cette question en termes plus ou moins généraux.
Espagne
Constitution espagnole, article 27.7 (Education)
Les enseignants, les parents et, dans certains cas, les élèves participent au
contrôle et à la gestion de tous les centres financés par l’Etat sur des fonds
publics, dans les conditions fixées par la loi.
Dans de nombreux pays, sinon dans la plupart, les lois relatives à l’éducation
mentionnent le droit des élèves à être formés à leur futur rôle de citoyens informés et
responsables. En Grèce, la loi 1566/85 sur l’éducation précise que l’enseignement
primaire et secondaire ont pour objectifs «d’aider les élèves à devenir des citoyens
libres, responsables et démocrates, capables de lutter pour l’indépendance
nationale et la démocratie» (article 1). Des dispositions plus détaillées régissent la
participation des élèves.
Grèce
Loi 1566/85 sur l’éducation, articles 45-47
Il est reconnu que les élèves ont le droit de créer des instances collectives,
lesquelles sont considérées comme des éléments importants de l’organisation
démocratique et des structures éducatives fonctionnelles au sein des
établissements scolaires. Ces instances peuvent être des partenariats entre
élèves, des associations ou des clubs sportifs. Leur création a pour objectif
d’encourager les élèves à participer activement à la vie de l’école pour leur
permettre:
– d’assumer des responsabilités et de prendre conscience, par leur expérience,
du rôle que joue le dialogue démocratique dans la formation de citoyens
conscients et créatifs;
44
– de contribuer au déroulement approprié et bénéfique du processus éducatif;
– de se forger une opinion personnelle sur la vie en faisant des liens entre l’école
et la société, ce qui leur permettra d’acquérir les aptitudes et compétences
nécessaires à leur développement ultérieur.
Les élèves de l’enseignement secondaire constituent des associations au moyen
desquelles ils participent à l’organisation de la vie de l’école et de toutes sortes
d’activités scolaires.
Dans tous les pays qui ont répondu à l’enquête, divers instruments régissent la
participation des élèves:
– lois sur l’éducation;
– curriculums et programmes nationaux;
– autres documents, directives et recommandations officiels.
La participation des élèves obéit évidemment à des modalités très diverses.
La structure globale du système politique (et éducatif) du pays est un facteur
déterminant. Ainsi, dans les pays fortement centralisés, la participation des élèves
est parfois prévue par des lois, décrets et réglementations applicables à l’ensemble
du territoire national. Il arrive aussi que la participation des élèves soit inscrite dans
les curriculums et programmes obligatoires au niveau national. Dans les systèmes
éducatifs décentralisés, la participation des élèves est souvent régie par des
réglementations régionales, dont la portée dépend fréquemment de l’importance
et du degré d’autonomie de l’entité régionale (on peut notamment opposer les
«Bundesländer» autrichiens ou les cantons suisses aux régions roumaines, dans
lesquelles la réglementation régionale est pratiquement insignifiante, au moins en
ce qui concerne l’éducation et la participation des élèves). Dans de nombreux
pays, sinon dans la plupart, ces deux systèmes cohabitent: les grands objectifs de
la participation des élèves sont énoncés dans les «programmes de base» nationaux
et/ou dans des programmes accompagnés de documents tels que des «orientations
relatives à la participation».
On peut toutefois conclure que presque tous les pays qui ont répondu ont des règles
ou des dispositions juridiques plus ou moins élaborées concernant la participation
des élèves. Il semble donc que l’ensemble des pays européens reconnaisse en
tant que principe éducatif la nécessité d’offrir, dans l’environnement scolaire,
la possibilité d’un apprentissage actif et participatif; dans tous ces pays, cette
nécessité paraît par ailleurs bénéficier d’une assise juridique solide.
8.2. Droits généraux des élèves à la démocratie
Les droits fondamentaux des élèves comprennent le droit à l’éducation et à la
scolarité, c’est-à-dire celui de participer à la transmission du savoir en fonction
45
de leurs capacités et de leurs besoins. En outre, les lois sur l’éducation régissent
l’organisation des processus d’apprentissage (sans nécessairement toucher à leur
contenu ou à leurs méthodes) et, très souvent, le choix des moyens et ressources
utilisés pour l’apprentissage.
Au-delà du cadre général établi par le droit à l’éducation, des dispositions
plus détaillées réglementent la mise en place d’un environnement éducatif
participatif. La loi suédoise sur l’enseignement fournit un exemple d’une
approche approfondie de la création d’un environnement démocratique à l’école:
elle stipule que toute activité scolaire doit se dérouler conformément aux valeurs
démocratiques fondamentales. Les objectifs et principes généraux prévus par la
loi sur l’enseignement sont formulés de façon plus concrète dans les programmes
nationaux. Voici ci-dessous les dispositions figurant dans le programme national
pour les collèges et lycées.
Suède
Programme national pour les collèges et lycées
La démocratie constitue le fondement du système éducatif national. La loi
sur l’enseignement (1985) stipule que toute activité scolaire doit se dérouler
conformément aux valeurs démocratiques fondamentales et que l’ensemble du
personnel de l’école doit favoriser le respect de la valeur intrinsèque de chacun
ainsi que de l’environnement que nous partageons (chapitre 1, paragraphes 2
et 9).
Une des tâches importantes de l’école est de transmettre, d’inculquer et
d’enseigner aux élèves les valeurs qui fondent notre société. L’inviolabilité de
la vie humaine, la liberté et l’intégrité de l’individu, l’égalité de tous, l’égalité
entre les femmes et les hommes et la solidarité envers les personnes faibles et
vulnérables, telles sont les valeurs que l’école doit incarner et transmettre…
La tâche de l’école est d’amener tous les élèves à prendre conscience que
chacun d’entre eux est un individu unique et, par conséquent, de les encourager
à participer activement à la vie sociale en usant au mieux de leur qualité
d’individus responsables et libres…
Il ne suffit pas que l’enseignement transmette la connaissance des valeurs
démocratiques fondamentales. Ce savoir doit en outre être enseigné suivant des
méthodes de travail démocratiques et développer la capacité et la volonté des
élèves de prendre des responsabilités individuelles et de participer activement
à la vie civique.
En prenant part à l’élaboration et à l’évaluation de leur éducation quotidienne,
et en opérant des choix entre les cours, les matières, les thèmes et les activités,
46
les élèves développeront leur capacité à user de leur influence et à prendre des
responsabilités1...
La loi autrichienne sur l’enseignement emploie de façon explicite le terme
«Schulgemeinschaft» (communauté scolaire), définie comme la «coopération
entre les enseignants, les parents (ou tuteurs) et les élèves». Afin de garantir
cette coopération démocratique, les élèves et les personnes investies de l’autorité
parentale ont le droit de représenter leurs intérêts face aux enseignants, proviseurs
et autorités scolaires2.
En Hongrie, l’accent est mis sur la mise en place et les fonctions des «instances
d’autonomie des étudiants», prévues par la loi sur l’enseignement de 1985 et celle
de 1993 sur l’éducation publique. En vertu de cette dernière, la participation des
étudiants prend deux formes: l’expression directe de leur avis et l’expression de
leurs intérêts par le biais d’organisations diverses. A cette fin, la loi prévoit la
création de parlements d’étudiants et de conseils d’école.
Hongrie
Loi sur l’éducation publique (1993), article 63
1. Les étudiants, leurs associations et leurs cercles peuvent mettre en place un
parlement des étudiants afin de représenter les intérêts de ces derniers. Les
activités de cette instance couvrent tous les problèmes qui concernent les
étudiants. […]
3. Le parlement des étudiants décide de son propre mode de fonctionnement,
de l’utilisation des moyens financiers qui lui sont alloués, de ses activités, du
programme des journées de travail en dehors des heures de cours. […]
7. Une assemblée générale des étudiants est organisée au moins une fois par
an dans l’enceinte de l’école ou de l’internat afin d’examiner les activités du
parlement et l’application des droits des étudiants.
Il est à noter que la loi hongroise sur l’enseignement – au même titre que les
législations de nombreux autres pays – stipule que les activités des instances
étudiantes autonomes couvrent toutes les questions relatives aux étudiants, en
tenant compte toutefois, comme l’indique le paragraphe 3, de certaines restrictions:
ces organes peuvent, par exemple, intervenir sur le programme d’une journée de
travail (c’est-à-dire d’école), mais uniquement «en dehors des heures de cours».
1. Citation empruntée à Modigh, Fredrik, La participation des élèves et des étudiants en Suède, étude
nationale communiquée par le coordinateur ECD pour la Suède.
2. Ministère fédéral autrichien de l’Education, de la Science et de la Culture (Bmbwk),
Informationsblätter zum Schulrecht, Teil 2: Schuldemokratie und Schulgemeinschaft, Vienne,
2000, p. 5.
47
En d’autres termes, ils ne peuvent pas influer sur les décisions relatives au contenu
des cours, aux méthodes d’enseignement et aux programmes en général.
8.3. Structure et niveaux de la représentation
des élèves/étudiants
Dans de nombreux pays, les élèves ont leur mot à dire sur la réglementation des
affaires qui les concernent et ce droit est clairement formulé et établi pour les
différents niveaux du système éducatif. Dans la plupart des pays, il existe des
modalités de représentation des intérêts des élèves au niveau de la classe et de
l’établissement.
Figure 4 − A quel niveau les intérêts des étudiants sont-ils représentés?
(résultats de l’étude)
35
30
25
20
Oui
Non
n.d.
15
10
5
0
Classe
Ecole
Régional
National
Autre
La figure 4 montre clairement que si la représentation des intérêts des élèves au
niveau de la classe et de l’école est largement acquise, il en va très différemment au
niveau national. Pourtant, comme on le verra ci-dessous, certains pays accordent
aux étudiants des droits très étendus et très poussés au niveau national.
En Allemagne, tous les acteurs de la vie de l’école ont le droit de prendre part
aux affaires scolaires (et dans une certaine mesure à la prise de décisions les
concernant): élèves/étudiants, parents, enseignants, collectivité, administration
scolaire, responsables politiques. Le terme de «coresponsabilité» de l’élève
(Schülermitverantwortung, SMV) suppose que chaque étudiant:
– participe activement à la vie de la classe et soutienne ses camarades;
– participe aux cours;
– connaisse et utilise les droits inscrits dans le règlement de l’école;
48
– participe aux instances de prise de décisions telles que les conseils d’école;
– participe à la diffusion (dans l’école et au dehors) des informations relatives à
l’école (par le biais des bulletins d’information, de la radio de l’école, etc.).
La figure 5 illustre la structure de la participation des élèves dans le Land allemand
du Bade-Wurtemberg:
Figure 5 − Structure de la participation des élèves dans le Bade-Wurtemberg,
Allemagne
Niveau du Land: Landesschulbeirat
Membres désignés par le ministère de
l’Education; 8 sont des représentants des
Landesschülerbeirat, 24 suppléants.
Elus tous les deux ans dans chacun
des 6 types d’écoles dans 4 districts
administratifs.
Niveau du Land:
Landesschülerbeirat
24 membres, 24 suppléants
élus tous les deux ans dans chacun
des 6 types d’écoles dans 4 districts
administratifs.
Niveau de l’école:
Schulkonferenz
Assemblée réunissant l’administration
scolaire, les enseignants, les parents
et les élèves.
Niveau de l’école:
Schülerrat
Conseil des élèves: assemblée de tous les
délégués de classe et de leurs suppléants.
Niveau de la classe:
Klassensprecher
Les élèves élisent un délégué
et un suppléant.
Les principaux objectifs de ce système de coresponsabilité sont les suivants:
– examen des questions d’intérêt commun concernant tous les élèves d’une
école;
– examen des questions relatives à la participation des élèves dans d’autres
organes démocratiques;
49
– participation à la conférence des écoles, ce qui sous-entend le droit de formuler
des propositions concernant le climat de la classe et celui de l’école, la culture
et l’ambiance de l’école en général;
– participation à certaines fonctions administratives.
8.3.1. Au niveau de la classe
Les délégués de classe sont généralement élus par les élèves d’une classe. Ils
ont pour tâche de représenter les intérêts de la classe auprès des enseignants, des
proviseurs ou de l’administration scolaire. Dans certains pays, les délégués des
différentes classes choisissent un «délégué des élèves de l’école» et un suppléant
et/ou représentent leurs camarades de classe au sein du conseil d’école ou
d’instances analogues.
8.3.2. Au niveau de l’école
Dans de nombreux pays, il existe des conseils d’école, ou des instances analogues,
telles que des forums d’école, qui s’occupent de tout ce qui concerne la vie et le
climat de l’école et qui participent aussi à certaines fonctions administratives ou
culturelles. Le Luxembourg offre un exemple de participation très étendue.
Luxembourg
Les conseils d’éducation dans les lycées
Ils se composent de quatre représentants des enseignants, de deux parents et
de deux élèves. Les représentants sont élus à bulletin secret pour une durée de
deux ans. Sans empiéter sur les responsabilités des professeurs principaux, les
conseils d’éducation, auxquels les élèves participent pleinement, remplissent
les fonctions suivantes (article 12 du règlement):
– ils participent au processus de modification et d’adaptation des règles
disciplinaires et du règlement intérieur de l’école;
– ils soumettent des rapports annuels au ministère de l’Education sur la situation
générale dans leur école;
– ils émettent des propositions concernant le budget annuel de l’école;
– ils peuvent formuler des opinions sur la mise en place ou la suppression
de cours optionnels et, ce qui est peut-être plus important, sur les cours de
rattrapage et l’organisation interne de l’école;
– ils rédigent leur propre projet d’établissement.
50
8.3.3. Au niveau régional
Dans certains pays, les intérêts des élèves sont également représentés au niveau
de la région ou de la province (comité ou conseil d’élèves d’une province) (voir
l’exemple de l’Allemagne à la figure 5). Dans la République fédérale d’Allemagne,
les affaires scolaires sont la responsabilité exclusive des Länder. En conséquence,
la représentation des élèves se fait au niveau du Land.
8.3.4. Au niveau national
La participation des élèves au niveau national existe notamment dans les systèmes
fédéraux. Les membres des organes représentatifs nationaux sont généralement
élus par des instances scolaires locales ou régionales.
Dans les systèmes d’éducation relativement centralisés, il n’y a généralement pas
de niveau intermédiaire pour la participation des élèves entre le niveau local ou
scolaire et le niveau décisionnaire national. La représentation des élèves dans des
conseils ou des organes nationaux existe dans plusieurs pays. Dans d’autres cas,
les élèves sont représentés au moyen d’organisations ou de structures qui n’ont
pas pour objet principal les questions d’éducation, par exemple des comités ou
forums de jeunesse.
Les systèmes éducatifs de la Hongrie et du Luxembourg fournissent de bons
exemples de l’articulation des intérêts des étudiants au niveau national.
Hongrie
Le Conseil national pour les droits des élèves (loi sur l’enseignement public,
article 98.2)
Le Conseil national pour les droits des élèves participe à l’élaboration des
décisions du ministre de l’Education relatives aux droits des élèves. Le conseil
national peut exprimer son opinion, soumettre des propositions et prendre
position sur toute question relative aux droits des élèves. Le conseil national
est constitué de 9 membres, dont 3 sont délégués par le ministre de l’Education,
3 par les organisations nationales représentant les élèves âgés de 6 à 14 ans,
et 3 par les organisations nationales représentant les élèves de 15 à 18 ans.
Les lois hongroises prévoient également la mise en place d’un «parlement des
élèves», convoqué tous les trois ans par le ministre de l’Education, en coopération
avec le Conseil national pour les droits des élèves. Le parlement des élèves
étudie essentiellement la mise en œuvre des droits des élèves; il peut adopter des
recommandations et formuler des propositions.
En Norvège, il existe un dispositif de représentation des élèves au sein de conseils,
qui sont consultés sur les questions éducatives.
51
Norvège
Représentation des conseils d’élèves au sein des instances éducatives de
l’Etat et des commissions chargées des affaires scolaires1
Des représentants des conseils d’élèves sont nommés dans les instances et
commissions éducatives, au même titre que des représentants des organisations
d’enseignants, des syndicats et autres.
Au niveau national, les élèves sont représentés au sein de nombreuses
instances éducatives telles que le comité directeur du Conseil norvégien de
l’enseignement, le Comité national d’évaluation de l’éducation, le Bureau
national de l’enseignement professionnel.
Les organisations d’élèves sont consultées sur les propositions de réformes,
les nouvelles lois et les projets de programmes, par l’intermédiaire de leurs
représentants au sein des comités et/ou de propositions adressées, dans le cadre
d’un processus consultatif, à toutes les organisations nationales, y compris
l’organisation nationale des élèves. Les représentants des élèves sont parfois
invités à participer à l’élaboration des nouveaux programmes et des autres
projets éducatifs, par exemple lorsque ces projets traitent directement des
activités des élèves.
Au Luxembourg, le «comité des élèves» de chaque lycée d’enseignement général
ou technique désigne un de ses membres pour représenter l’établissement au sein
de la Conférence nationale des élèves. Le ministre de l’Education convoque cette
conférence au moins deux fois par semestre.
Luxembourg
Fonctions principales de la Conférence nationale des élèves
– Représenter les élèves auprès du ministre de l’Education et de tous les autres
partenaires de l’école au niveau national;
– désigner parmi ses membres des représentants d’élèves auprès de la
commission consultative nationale, qui soumet des propositions au ministre
sur les questions éducatives majeures;
– désigner parmi ses membres des représentants auprès des groupes de travail du
ministère de l’Education, chargés ensuite de rendre compte à la conférence;
– émettre des propositions sur tous les sujets relatifs aux opinions et au travail
des élèves;
1. Christiansen, J. C., «Démocratie et participation des élèves en Norvège», déclaration pour l’étude
paneuropéenne sur la participation des élèves, 2003.
52
– examiner les propositions du ministère et émettre des opinions sur les
questions qui concernent les élèves;
– créer des commissions spéciales à caractère consultatif visant à traiter des
questions relatives à des catégories particulières d’élèves1.
L’étendue des droits à la participation garantis au niveau national par le GrandDuché de Luxembourg, la fréquence des réunions de la Conférence nationale des
élèves et, plus particulièrement, la «solidité» des liens officiels qui unissent la
conférence nationale et le ministère de l’Education fournissent un très bon exemple
d’une structure fonctionnelle au niveau national; par ailleurs, c’est également un
exemple très rare de bonne pratique en Europe.
Il est évidemment plus simple pour le Luxembourg – petit pays d’environ 450 000
habitants – que pour un grand pays de réunir les représentants de tous les lycées
du pays. Dans un tout petit pays, il est également possible d’informer tous les
élèves des propositions qui les concernent et de leur permettre de participer
réellement aux discussions. En tant que telle, la Conférence nationale des élèves
est, bien sûr, un outil d’enseignement de la démocratie et, à certains égards, un
instrument de démocratie quasi directe qui n’existe peut-être nulle part ailleurs
qu’au Luxembourg. Toutefois, ce modèle mérite d’être étudié et peut être même
adapté au contexte de la participation nationale dans de nombreux autres pays
européens.
8.4. Niveau de représentation et de participation des parents
Dans tous les pays qui ont collaboré à la présente étude, les parents d’élèves
participent d’une façon ou d’une autre aux affaires scolaires. Pourtant,
l’enseignement est généralement considéré comme étant du ressort exclusif de
l’Etat. Les parents peuvent exercer leurs droits individuellement, sur la base des
lois qui régissent les droits de la famille dans toutes les sociétés, et collectivement,
au moyen des instances représentatives des parents. La participation des parents
peut être organisée au niveau de la classe, de l’école et à des niveaux supérieurs.
Les données rassemblées pour la présente étude indiquent que si la représentation
des élèves semble se concentrer au niveau de la classe et de l’école, la participation
des parents s’exercerait plutôt à celui de l’école. De manière surprenante, les
résultats indiquent qu’un tiers environ des personnes interrogées déclare que
les parents ne sont pas impliqués au niveau de la classe, mais tous les pays
indiquent qu’il existe une forme de participation des parents au niveau de l’école,
essentiellement sous la forme de conseils de parents d’élèves et, dans certains cas,
de réunions parents-professeurs.
1. Harpes, J. P., «Participation des élèves et éducation à la citoyenneté démocratique dans les écoles
luxembourgeoises», déclaration pour l’étude paneuropéenne sur la participation des élèves, 2003.
53
Figure 6 − A quel niveau les intérêts des parents sont-ils représentés?
(résultats de l’étude)
35
30
25
20
Oui
Non
n.d.
15
10
5
0
Classe
Ecole
Régional
National
Autre
La participation des parents au niveau régional est en revanche relativement faible
(dans la plupart des cas, cette forme de représentation est inapplicable), alors que
les données montrent que la participation au niveau national semble relativement
importante. Les parents ont donc la possibilité de faire valoir leurs intérêts au
niveau de la définition des orientations générales du système, que ce soit sous la
forme d’associations parents-professeurs ou de conseils de parents d’élèves.
Les droits des parents sont plus étendus qu’ils ne l’imaginent bien souvent.
Pourtant, dans toute l’Europe, on déplore le fait que les parents ne s’engagent pas
assez pour défendre les intérêts de leurs enfants.
L’article 32 de la loi sur l’école de Hambourg (Allemagne) définit les droits des
parents à être informés et conseillés.
Un échange d’informations régulier est indispensable à la bonne coopération
entre les établissements scolaires et les parents d’élèves. Les parents ont le
droit d’être informés sur toutes les questions importantes concernant l’école,
notamment:
– la structure et l’organisation de l’école et des cours;
– les programmes, les cursus, leurs objectifs, contenus et prérequis;
– les caractéristiques essentielles des plans et de la structure d’enseignement;
– les critères d’évaluation des performances;
– le passage entre les différentes filières;
– les examens et qualifications de fin d’étude, y compris l’accès à l’emploi et
aux métiers;
54
– les possibilités pour les élèves et leurs parents de participer aux processus
scolaires;
– le droit de consulter tous les dossiers contenant des informations sur leurs
enfants (dossiers scolaires, dossiers des services d’orientation scolaire,
dossiers de la médecine scolaire).
De plus, les parents ont un droit de participation et de décision au niveau:
– de la classe, par l’intermédiaire de deux représentants élus par tous les parents
des élèves de la classe;
– du comité de classe;
– du conseil des parents;
– du comité de l’école1.
Le faible taux de présence des parents aux conseils de classe ou d’école,
fréquemment dénoncé, constitue un problème majeur. Une recherche plus
approfondie serait nécessaire pour évaluer l’ampleur réelle de ce problème en
Europe. Pourtant, tout enseignant ou professionnel de l’éducation confirmerait
probablement avoir constaté ce phénomène dans la pratique et signalerait peutêtre le déséquilibre entre les femmes et les hommes, les mères assistant beaucoup
plus aux réunions que les pères.
Résultats d’une enquête sur la participation des parents réalisée en Espagne
A la question: «Dans quelle mesure participez-vous aux aspects suivants de la vie
scolaire de vos enfants?», la plupart des réponses enregistrées montrent que les
parents participent peu ou pas du tout aux activités scolaires, à l’exception des
réunions ou des entretiens, auxquels 51 % des parents affirment participer «un
peu» ou «beaucoup». Il existe des associations de parents d’élèves dans 82 %
des écoles sur lesquelles a porté cette étude. Ce pourcentage élevé montre que les
associations de parents sont un phénomène de plus en plus ancré. […] Toutefois, la
participation effective des parents à ces associations est très faible: 35 % déclarent
qu’ils n’y participent pas et 51 % qu’ils se contentent de payer les cotisations. Seuls
14 % des parents déclarent qu’ils y participent activement. Cette participation est
plus élevée chez les parents diplômés de l’enseignement supérieur, chez lesquels
le taux est de 42 %2.
1. 2003 Schulinformationszentrum, Behörde für Bildung und Sport, Hambourg, janvier 2004. Ce
document comporte une liste détaillée des droits des parents dans le cadre scolaire.
2. Instituto Nacional de Calidad y Evaluación (INCE), Elements for a Diagnosis of the Spanish
Educational System, Part 6: Family and school, Madrid: http//www.ince.mec.es/elem-e/cap6-5.htm
55
A Malte, la situation n’est pas différente de celles des grands pays
«Il est clair que certains parents sont plus que satisfaits de s’en remettre à l’école
pour l’éducation de leurs enfants et qu’il leur coûte d’y mettre les pieds une fois
par an pour la journée des parents. Certains d’entre eux savent à peine dans quelle
classe est leur enfant et n’ont pas la moindre idée du nom de l’enseignant, qu’ils
auraient bien du mal à reconnaître. D’autres ne prennent même pas la peine de
venir […] Pourtant, le but de l’école, ce n’est pas seulement d’enseigner quelques
matières; il y est aussi question des principes qui guideront nos enfants dans la
vie1.»
Un projet de recherche écossais sur la participation des parents dans les écoles
montre aussi clairement que l’engagement des parents se manifeste de façons
diverses tout au long du système scolaire. En dépit des efforts accomplis, la relation
entre les parents et les écoles demeure problématique et les parents s’engagent peu
au sein des instances de représentation collective. Les caractéristiques suivantes
ont été constatées dans la plupart des régions étudiées dans le cadre de ce projet
de recherche:
– la participation des parents aux élections des différents conseils est relativement
faible;
– leur participation diminue à mesure que l’âge des élèves augmente: la
proportion de parents actifs était de 47 % dans les écoles primaires et de 32 %
dans l’enseignement secondaire (dont 17 % dans les lycées professionnels);
– l’étude de la participation des parents en fonction de leur catégorie sociale
montre que les parents des classes moyennes sont les mieux représentés au
sein des associations de parents. Le vrai problème qui se pose dans un certain
nombre d’écoles est d’améliorer la représentation collective et la participation
des parents appartenant à la classe ouvrière.
Tableau 2 − Répartition sociale des parents et des membres d’associations de parents
d’élèves en Ecosse2
Profession
Cadres supérieurs;
professions intellectuelles et
libérales
Cadres moyens
Indépendants et commerçants
En % par rapport à
l’ensemble des parents
En % par rapport
aux membres
d’associations de
parents d’élèves
15
20
19
10
48
2
1. Malta Today Archives, 22 décembre 2002: http//www.maltatoday.com.mt/2002/12/22/issues.htm
2. The Scottish Office, Parental Participation in School, Part 1: http://www.Scotland.gov.uk/library/
documents-w9/pps-00.htm
56
Salariés
Ouvriers
Chômeurs
13
36
3
22
6
1
Face à cette situation, les responsables de l’éducation et les écoles sont confrontés
à trois questions fondamentales:
– le niveau actuel de participation des parents aux affaires qui concernent
l’éducation de leurs enfants est-il satisfaisant?
– comment cette participation peut-elle être améliorée, étendue et renforcée?
– comment peut-on ancrer durablement les procédures de participation des
parents dans la vie de l’école, le cadre scolaire et le fonctionnement des
autorités éducatives?
Pour apporter un début de réponse à ces questions, le projet écossais a rassemblé
une grande quantité d’informations sur plusieurs pays européens. Il a permis
de découvrir des méthodes assurant une participation effective des parents et
d’analyser les pratiques et les approches existant dans ce domaine. Le tableau 3
expose quelques-unes des caractéristiques essentielles mises en évidence par les
études internationales et leur comparaison.
Tableau 3 − Comparaison des caractéristiques essentielles de la participation
des parents dans plusieurs systèmes éducatifs1
Caractéristiques essentielles de la participation
des parents
Avantages liés à la nomination d’une personne
indépendante, chargée d’assurer le lien entre les
parents, les élèves et les enseignants, et d’encourager
une communication efficace entre les familles et
l’école, en particulier dans les zones défavorisées
Méthodes judicieuses consistant à contacter les
parents de manière informelle et à encourager leur
participation
Information élaborée avec soin afin d’aider les
parents à comprendre la façon dont ils peuvent aider
leurs enfants ou travailler au sein d’associations
scolaires
Disponibilité de l’information sur des questions
importantes, comme les programmes, les taux de
réussite ou l’absentéisme.
Promotion de l’échange d’informations entre les
parents, les élèves et les enseignants
Pays dans lesquels
ces observations ont été faites
France
Portugal
Espagne
Ecosse
Pays-Bas
Belgique (Communauté
flamande)
Ecosse
Belgique (Communauté
flamande)
1. The Scottish Office, op.cit.
57
Réunions de tous les groupes concernés par une
amélioration de la qualité de l’enseignement
(enseignants, élèves, associations de parents,
autorités éducatives)
Rôle des contacts entre les familles et l’école (ou la
classe)
Intérêt de consulter les parents et les élèves/étudiants
pour évaluer la qualité du travail accompli par une
école
Nécessité de susciter et de favoriser le sentiment
d’une communauté d’objectif entre tous les
partenaires de l’école afin d’améliorer les aspects
principaux de l’activité scolaire
Rôle important et influence des instances rassemblant
les parents, tels que les conseils d’école et les
associations parents-professeurs
Portugal
Italie
Autriche
Italie
Ecosse
Autriche
Observé dans la plupart des pays
Observé dans la plupart des pays
La participation des parents semble davantage axée sur les droits à l’information que
sur les droits à la participation effective et concrète. Une plus grande transparence
à l’égard des parents au sujet des activités scolaires et des décisions qui concernent
leurs enfants est, naturellement, un point capital. Il ne s’agit toutefois là que d’un
aspect parmi d’autres d’une «participation» (au sens propre du terme) authentique
et significative.
8.5. Enseignement et apprentissage participatifs:
recommandations, directives pour les programmes, formules
Comme indiqué ci-dessus, la plupart des pays semblent avoir formulé des
recommandations relatives à la participation dans l’enseignement et l’apprentissage,
recommandations qui figurent généralement dans des notes d’orientation, des
programmes, des plans ou directives arrêtés au niveau national ou régional et sont,
selon les cas, juridiquement contraignants.
Très globalement, on peut affirmer que les formules d’enseignement et
d’apprentissage participatif se rencontrent à des degrés divers tout au long
de l’enseignement obligatoire, bien que l’accent soit mis le plus souvent sur
l’enseignement secondaire. Il conviendrait toutefois d’étudier avec davantage de
précision le contenu exact de ces formes de participation.
D’une manière générale, les réponses fournies permettent cependant de dégager
avec certitude quelques conclusions:
– la plupart des recommandations et directives sont suffisamment «ouvertes»
pour permettre/autoriser des méthodes actives et motivantes, et pour encourager
les approches centrées sur l’apprenant;
58
– de nombreux pays encouragent les «bonnes pratiques» concernant «l’autonomie
des apprenants», la participation active des élèves au processus d’apprentissage,
l’enseignement «interactif», l’utilisation de méthodes de travail variées, de
groupes de travail autonomes et de méthodes de mise en réseau, ainsi que
l’intégration des activités extrascolaires et extracurriculaires dans le processus
d’apprentissage;
– certains favorisent des approches ambitieuses ou des programmes
pilotes d’autoévaluation des élèves, dans une optique d’enseignement et
d’apprentissage participatif et de renforcement de la participation des élèves à
la prise de décisions au niveau de la classe et/ou de l’école. Les expériences de
participation des élèves dépassent le cadre étroit de la classe ou de l’école pour
s’étendre aux possibilités d’apprentissage qu’offre la collectivité;
– cette responsabilisation des élèves est perçue, dans certains pays, comme
l’élément clé de la participation: elle encourage les enseignants à permettre aux
élèves d’avoir leur mot à dire au sujet des méthodes employées, au moins sur
certains points spécifiques ou sur les objectifs du programme, et à les laisser
prendre en main leur apprentissage.
Parmi les pays étudiés, un seul (la Fédération de Russie) ne délivre pas encore
de recommandations, de directives curriculaires ou de formule précise pour
la participation des élèves (du moins au niveau national ou fédéral). Il semble
cependant qu’un certain nombre de projets pilotes et d’expériences prévoyant
l’inscription aux programmes d’éléments destinés à favoriser la participation des
élèves et d’activités relatives à l’instruction civique soient en cours.
59
9. La participation des élèves dans la formation
des enseignants
La nécessité d’un enseignement centré sur l’apprenant est un concept pédagogique
moderne fondamental, largement reconnu sur le plan théorique et mis en pratique
dans toute l’Europe. Dans la mesure où ce type d’enseignement implique aussi
la responsabilisation des élèves et l’exercice d’aptitudes et de compétences
nécessaires à la participation active à la vie scolaire, il semble y avoir un large
consensus sur la nécessité d’une implication et/ou d’une participation accrue des
élèves dans certains domaines de la vie de l’école et même pour ce qui concerne le
contenu de l’enseignement et de l’apprentissage.
Comme le montrent les réponses aux questions concernant les recommandations,
les directives et les formules (voir le paragraphe 8.5 ci-dessus), on peut affirmer
que presque tous les systèmes éducatifs représentés dans l’étude privilégient
certaines formes de participation des élèves.
Ce constat est cependant moins net au vu des réponses concernant l’existence
d’une formation spécifique des enseignants portant sur la participation des élèves
dans le cadre de leur formation générale. Dans la plupart des pays, cette question
est traitée de manière plus ou moins implicite dans leur formation générale; elle
se limite parfois à une présentation générale des droits, des responsabilités et de
l’autonomie des étudiants. Dans d’autres cas, les instances éducatives organisent
des formations et des séminaires destinés aux enseignants sur «la démocratie à
l’école» et les diverses formes de participation des élèves aux activités scolaires
et extrascolaires. Des ONG mandatées par l’Etat participent à la formation des
enseignants, tout particulièrement dans les pays d’Europe centrale, où elles
assurent une part importante de cette formation. Dans ce type de situations, la
priorité semble être donnée à des formations centrées sur des connaissances – ou
des contenus – plutôt que sur des notions telles que les systèmes de valeurs, la
pratique de la démocratie et la coresponsabilité des élèves.
Certains pays, cependant, ont reconnu la nécessité de mettre en place une formation
continue des enseignants portant spécifiquement sur la pratique de la participation
des élèves aux affaires de l’école. La Suède en est un exemple.
Suède
L’Agence nationale pour l’éducation organise et finance la formation continue
des enseignants dans certains domaines jugés particulièrement importants.
Le gouvernement privilégie depuis quelques années le développement des
compétences des chefs d’établissement en matière de démocratie et de valeurs
démocratiques. Une formation continue portant spécifiquement sur ce domaine
est donc proposée aux chefs d’établissement et aux personnels enseignants.
60
L’agence nationale a aussi créé un nouveau site Internet afin d’améliorer
l’information et les connaissances du public et des écoles en matière de
démocratie1.
Au Royaume-Uni, les insuffisances dans ce domaine semblent avoir été identifiées
par de nombreuses institutions. L’association School Councils UK vient en aide
à de nombreuses instances éducatives, au moyen de formations destinées aux
enseignants et aux élèves.
Royaume-Uni
La formation destinée aux enseignants et aux élèves permet aux participants
d’évaluer le degré de participation des élèves dans leur école et de s’interroger
sur la manière d’améliorer les structures existantes et d’introduire des
innovations.
La formation des enseignants poursuit les objectifs suivants:
– proposer une vision d’ensemble de la participation des élèves;
– montrer les avantages de la participation pour les enseignants;
– identifier les conditions nécessaires à la participation des élèves;
– définir ce qu’un conseil d’école pourrait être et la manière dont il s’intègre
dans les systèmes décisionnaires de l’école.
La formation des élèves poursuit les objectifs suivants:
– montrer que des conseils d’école efficaces peuvent vraiment apporter quelque
chose;
– permettre aux élèves d’acquérir des compétences en matière de participation,
qui feront d’eux des citoyens actifs;
– leur faire comprendre la notion de direction d’un groupe2.
Le concept pilote élaboré par School Councils UK montre qu’une formation
efficace doit être proposée aux enseignants et aux élèves. Leurs activités requièrent
une qualification. Par conséquent, s’il y a une leçon à tirer des résultats de cette
étude pour ce qui est de la formation des enseignants, c’est qu’un plus grand
nombre d’initiatives similaires serait nécessaire pour donner aux enseignants et
à leurs élèves les compétences requises pour traiter les questions, problèmes et
activités engendrés par l’extension des droits des élèves à la participation. En fait,
ce sujet devrait être placé au cœur du cursus de formation (initiale et continue) des
enseignants.
1. Modigh, Fredrick, «Pupils and Students Participation in Sweden», déclaration pour l’étude
paneuropéenne sur la participation des élèves, 2003.
2. School Councils UK, Formation pour les instances éducatives locales, 2003,
http://www.schoolcouncils.org/training/leas/php
61
10. Obstacles, insuffisances et souhaits
Les résultats font apparaître qu’un certain nombre d’«obstacles» à l’enseignement
et à l’apprentissage participatif sont fréquents dans toute l’Europe.
Les méthodes traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage sont encore très
présentes et il y a une certaine résistance à la démocratisation et au changement
dans les écoles. Cette inertie n’est pas seulement le fait des personnels chargés de
transmettre les connaissances (les enseignants et leurs formateurs): elle vient aussi
des responsables de l’élaboration des politiques, de la conception des programmes
et des instances décisionnaires en matière d’éducation.
L’attitude des enseignants vis-à-vis de l’extension des droits des élèves à la
participation et de l’enseignement et de l’apprentissage participatifs est variable.
Il semble qu’il y ait un certain «clivage» à ce sujet en Europe. En fait, leur
attitude semble refléter, dans une certaine mesure, leur propre vécu et leur mode
de socialisation. L’histoire nationale est aussi un facteur important et, dans de
nombreux cas, la raison principale de l’absence d’une culture démocratique dans le
système éducatif, en particulier dans les pays qui ont connu des régimes autoritaires
et qui n’ont que peu d’expérience des structures et méthodes ouvertes et libérales.
En outre, dans certains pays, le système et l’administration de l’éducation semblent
ne pas suffisamment soutenir les approches les plus novatrices.
Inadaptation de l’environnement: les rapports de certains pays fournissent
des informations intéressantes sur les approches concrètes visant à créer un
environnement favorable à la participation des élèves à l’école. Ces approches
ont pour objectif de former les élèves à recevoir un enseignement démocratique
et social, et à se comporter en conséquence. Les éléments déterminants pour cet
apprentissage sont la mise en place dans l’école de structures sociales appropriées,
la création de communautés d’apprentissage centrées sur les valeurs (plutôt que
des systèmes où l’instruction est tournée vers les connaissances) et l’introduction
et la mise en place de domaines dans lesquels le fonctionnement repose sur
l’autonomie et la coopération.
L’idée de «partenariat» et de «communauté d’apprentissage»: il ne peut y avoir
de véritable participation démocratique en milieu scolaire si la conscience de
l’importance du «partenariat» n’imprègne pas l’esprit de la collectivité scolaire.
Ce concept est le plus important pour la «réinvention» de l’école en tant que
communauté d’apprentissage (comme le précise, par exemple, la législation
autrichienne relative au système scolaire). Un partenariat authentique requiert
toutefois la reconnaissance d’éléments tels que le devoir d’informer, la disposition
à ouvrir certains domaines à la prise de décisions communes, le partage des
responsabilités et le développement de nouvelles formes de communication.
62
Attitude très réservée de tous les groupes concernés à l’égard de la participation
des élèves:
– les jeunes n’ont pas l’habitude d’être consultés et ne tirent pas profit de ce
droit. De nombreux élèves considèrent la consultation et les délibérations
démocratiques comme des activités purement symboliques;
– les adultes craignent de donner trop de droits et trop peu de responsabilités aux
jeunes, aussi bien à l’école qu’en dehors. De nombreux adultes sont aussi mal à
l’aise par rapport aux changements que supposent les processus participatifs;
– l’importance de la participation des élèves pâtit de l’insistance de nombreux
chefs d’établissement à repousser de telles activités après les heures de cours
plutôt que d’intégrer la participation démocratique dans l’emploi du temps et
de la considérer comme faisant partie intégrante du cursus;
– le fait de désigner comme représentants de la communauté scolaire ceux qui
sont les plus sûrs d’eux-mêmes et qui savent le mieux se faire entendre (par
exemple ceux qui sont capables de s’exprimer en public) peut involontairement
conduire à diminuer la motivation et les possibilités de ceux qui s’expriment
moins facilement, en particulier ceux qui auraient le plus besoin de faire
entendre leur voix1.
Votez Sabine!
Je suis là juste pour la parité!
Illustration: Stefan Rasch2.
1. Voir SSEN, Etude de cas no 31, http://www.ethosnet.co.uk
2. In op. cit.
63
11. Conclusion: une nouvelle manière de vivre
et d’apprendre à l’école
L’être humain n’est pas prédestiné par nature à être démocrate et les enfants ne
deviennent pas automatiquement de bons citoyens. La démocratie doit et peut
s’apprendre. La participation est un élément clé pour impliquer les individus dans
le processus démocratique. Cette participation peut s’appliquer non seulement
dans le domaine politique, mais aussi dans la vie de tous les jours et dans toutes
sortes de contextes sociaux. L’apprentissage, la formation et le «conditionnement»
précoce à ces processus sont d’une importance capitale. L’école reste le lieu où cet
apprentissage est possible.
Mais ces objectifs ne peuvent être atteints dans un environnement caractérisé
par la méfiance, la réglementation et le contrôle. L’école du futur doit offrir des
possibilités adaptées à l’apprentissage et à l’expérimentation faisant appel à la
participation des élèves. La participation n’est pas à sens unique; elle suppose un
échange continu avec les autres. C’est pourquoi il convient de développer, outre
l’apprentissage participatif, des activités dont le but est l’apprentissage social. La
finalité de cet apprentissage est de permettre l’acquisition de compétences sociales
générales et des aptitudes et méthodes nécessaires pour coopérer avec d’autres.
Ces compétences constituent l’ossature de la citoyenneté dans une Europe
démocratique.
Les trois dimensions – affective, cognitive et pragmatique – de l’apprentissage
sont réunies dans les processus éducatifs en jeu à l’école. Cependant, les droits
de participation des élèves et leur application pratique sont souvent limités à des
domaines relativement marginaux et/ou peu intéressants. Dans ces conditions,
les élèves ne pourront faire l’expérience des dimensions affectives et cognitives
de l’apprentissage, qui se réduira à la transmission formelle de connaissances
sur les institutions ou les lois. Ils ne pourront mettre à l’épreuve leurs droits de
participation et en faire l’expérience personnelle; en conséquence, ils ne verront
pas que leurs droits de participation sont un élément important pour la création
d’une communauté scolaire. A plus long terme, ils ne se sentiront pas concernés
par le fonctionnement de la collectivité dans son ensemble.
11.1. Ensemble de critères pour la participation démocratique
à l’école
La liste qui figure ci-dessous énumère les éléments à prendre en compte pour
instaurer la participation démocratique à l’école; elle a pour but de susciter la
discussion et d’ouvrir la voie à des actions concrètes, et, surtout, de permettre le
développement d’une nouvelle culture d’apprentissage et d’une nouvelle manière
de vivre l’école.
64
Buts
• Faire de l’école un système régi par les responsabilités et les droits;
• instaurer la participation comme mode de résolution des conflits à l’école;
• instaurer la participation comme moyen de prévention de la violence;
• instaurer la participation comme mode d’apprentissage social;
• réaliser des projets de pratique de la participation;
• créer un environnement propice à l’émergence d’une communauté
d’apprentissage ouverte.
Structures de participation
• Délégués de classe;
• conseils de classe;
• conseils et assemblées d’école;
• structures et organes extérieurs à l’école (au niveau régional ou national,
comme les parlements locaux ou régionaux de jeunes).
Participation à l’apprentissage
• Responsabilité personnelle des élèves dans leur propre apprentissage;
• responsabilité de l’apprentissage collectif dans la classe;
• participation à l’élaboration des programmes (dans certaines matières);
• approches de l’apprentissage reposant sur des projets.
Participation à la vie quotidienne de l’école
• Apprentissage social;
• intégration;
• gestion des conflits;
• prévention de la violence;
• actualité de la communauté scolaire;
• projets de l’école.
Participation hors de l’école
• Liens avec d’autres écoles, réseaux interécoles;
• liens avec d’autres institutions (jardins d’enfants, entreprises, collectivités
locales, bibliothèques, etc.);
• liens avec la communauté (responsables locaux, clubs de jeunesses, etc.);
65
• réunions régulières avec les responsables politiques locaux (maires, conseillers
municipaux, etc.);
• relations et échanges internationaux, participation aux projets scolaires
européens.
Systèmes d’aide à l’acquisition de compétences de participation
• Transmission de compétences et formation à la résolution des conflits;
• formation des représentants des élèves à la communication;
• formation des enseignants aux questions liées à la participation des élèves;
• création de points service régionaux pour les délégués de classe et
d’établissement.
11.2. La confiance, condition préalable du changement
Tout au long de ce rapport, nous avons examiné toute une série de pratiques
observées au sein de la communauté scolaire dans les différents pays européens
ainsi que diverses suggestions et demandes inspirées par une nouvelle vision
des élèves et de leurs droits dans une école démocratique. La transformation de
l’école en une communauté démocratique ne se fera cependant pas du jour au
lendemain. C’est un processus long et laborieux, semé d’embûches, en butte à
de fortes résistances et à une inertie extraordinaire de la part de tous les groupes
concernés.
L’élément qui fait peut-être le plus gravement défaut pour réaliser la démocratie à
l’école est la confiance. Nos systèmes éducatifs étaient et restent caractérisés par
le manque de confiance:
• manque de confiance dans la capacité des élèves à assumer la responsabilité de
leur propre apprentissage;
• manque de confiance dans la capacité des enseignants à parvenir à de bons
résultats dans des situations d’apprentissage ouvertes, caractérisées par une
plus grande liberté et autonomie dans les programmes;
• manque de confiance dans la capacité de l’école à créer un environnement
démocratique grâce à une plus grande autonomie;
• manque de confiance dans toutes les situations d’apprentissage qui ne sont pas
réglementées par des instructions et des programmes détaillés.
Il est vain de vouloir réformer et réinventer l’école dans sa dimension de
communauté d’apprentissage si la «confiance» n’est pas érigée en principe
fondateur des systèmes d’éducation et n’inspire pas de manière tangible
l’attitude des hauts responsables de l’éducation vis-à-vis de l’école et des
praticiens de l’éducation.
66
11.3. Vers une nouvelle «manière de vivre et d’apprendre»
à l’école et dans l’environnement scolaire
Il n’est pas seulement possible d’instaurer une «nouvelle manière de vivre et
d’apprendre» à l’école, c’est aussi une nécessité impérieuse, qui doit être la priorité
des politiques éducatives européennes. Plusieurs conditions doivent être réunies
pour que cette nouvelle culture émerge:
• la «confiance» doit être le fondement de tous les processus éducatifs;
• les élèves doivent pouvoir exprimer leurs opinions plutôt que de recevoir et
répéter passivement celles des adultes;
• les élèves doivent pouvoir mettre en relation leur vécu quotidien et les processus
d’apprentissage, influer sur les décisions qui les concernent et appliquer la
démocratie dans leur environnement immédiat;
• il faut développer des méthodes et des moyens d’assurer la qualité de
l’enseignement et de l’apprentissage, pas seulement par rapport à des critères
formels de qualité (tels que les ressources, le type d’établissement scolaire, le
règlement), mais aussi par rapport à des critères plus «informels» (caractérisés
par l’ambiance qui règne à l’école);
• l’initiative personnelle, le sens des responsabilités et l’émergence d’un état
d’esprit partagé doivent être encouragés et se substituer aux procédures
administratives et aux processus d’apprentissage qui conduisent à la méfiance
et à la démotivation;
• il faut créer des situations d’apprentissage permettant aux élèves de travailler
sur des «sujets ouverts», plutôt que de suivre simplement des programmes
prédéfinis et thématiquement restreints;
• il faut favoriser et stimuler l’innovation pédagogique et contribuer à réinventer
le métier d’enseignant: les enseignants pourraient devenir des animateurs et des
facilitateurs du processus d’apprentissage plutôt que de simples présentateurs
de contenus donnés;
• il faut instaurer une nouvelle culture de collaboration au sein de l’école, dans
l’optique du plan de développement à long terme de l’école;
• enfin, il faut créer davantage d’«espaces ouverts» à l’école et dans le contexte
éducatif, de manière à permettre un surcroît de flexibilité, à stimuler la
motivation et à faire naître chez les élèves un sentiment d’appartenance et le
sens des responsabilités.
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11.4. Vers une compréhension plus large de l’apprentissage de
la démocratie et de l’éducation à la citoyenneté démocratique
En théorie et en pratique, tout «apprentissage politique» en milieu scolaire
doit être considéré et compris comme un «apprentissage démocratique». La
«responsabilisation» des élèves pour leur futur rôle de citoyens informés, critiques
et actifs dans une société démocratique passe par la création de structures et
de procédures reposant sur leur participation et sur l’ouverture d’espaces leur
permettant de faire l’expérience de la confiance, de l’appartenance et de la
responsabilité. Ces éléments doivent nécessairement être pris en compte dans tous
les débats concernant l’éducation à la citoyenneté démocratique (ECD). Ainsi,
pour reprendre une définition proposée dans le cadre du projet du Conseil de
l’Europe pour l’éducation à la citoyenneté démocratique1, il convient d’ajouter
la participation démocratique en milieu scolaire aux éléments constituant notre
approche d’un consensus européen sur l’apprentissage de la démocratie, formulée
dans le projet ECD du Conseil de l’Europe.
Elargir la définition de l’apprentissage de la démocratie
L’apprentissage de la démocratie:
– est profondément ancré dans les préceptes éducatifs européens qui défendent
la stabilité démocratique sur un continent intégré et culturellement varié;
– est une approche novatrice multidimensionnelle et multiforme partant de la
base, dans le but de faciliter une participation active à la démocratie;
– vise à aider les élèves, les jeunes et les adultes à participer aux processus
décisionnaires de manière active, créative et responsable;
– ouvre des possibilités d’acquisition, d’utilisation et de transmission
d’informations, de valeurs et d’aptitudes dans toute une série de contextes
éducatifs et formatifs formels et non formels, tout au long de la vie;
– dépasse les frontières entre l’école et le monde extérieur, ainsi que les divisions
entre éducation formelle, non formelle et informelle, entre les activités
curriculaires et extracurriculaires, et entre scolarisation et socialisation;
– favorise la réciprocité de l’enseignement et de l’apprentissage et incite à un
changement de rôle permanent entre enseignants et étudiants;
– renforce le dynamisme et la pérennité d’une culture démocratique fondée sur
la conscience et la défense de valeurs essentielles communes, à savoir les
droits de l’homme et les libertés fondamentales, l’égalité et la primauté du
droit;
1. Dürr, K., Spajic-Vrkas, V. et Fereira Martins, I., Stratégies pour apprendre la citoyenneté
démocratique, DECS/EDU/CIT (2000) 16, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2000, p. 74, points 1-8.
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– renforce la cohésion et la solidarité sociales et favorise les stratégies
d’inclusions de tous les groupes et secteurs dans une société multiculturelle;
– reconnaît que la démocratie scolaire est une condition essentielle de
l’apprentissage et de la pratique de la citoyenneté dès le plus jeune âge et
qu’elle est un facteur important de l’émergence d’un climat de confiance et
de responsabilité permettant de prévenir et d’éradiquer la violence à l’école.
L’école est le lieu où les enfants ont, pour la première fois de leur vie, affaire
à une institution sociale et à des adultes extérieurs à leur cercle familial. Cette
expérience précoce doit être considérée comme un facteur influençant de manière
décisive leurs attitudes futures à l’égard de l’Etat, de la société, de la politique
en particulier, et de la démocratie en général. Une «bonne école» est le lieu où
les aptitudes et compétences nécessaires pour «bien mener sa vie» peuvent être
acquises; elle doit donc proposer un espace dans lequel de nombreuses possibilités
– jusque-là peut-être inusitées, peu orthodoxes et non conventionnelles – sont
offertes pour l’apprentissage social, le débat politique, la codétermination
politique et la responsabilité, ainsi que pour l’acquisition de compétences sociales
et démocratiques, de qualifications et d’aptitudes dont les jeunes auront besoin
pour remplir leur futur rôle de citoyens informés, responsables et actifs.
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